Après 13 ans passés à l’étranger, je suis rentrée au pays pour m’y installer définitivement en 2013. Le choc culturel, bien documenté par l’OIM et les chercheurs, s’est déroulé selon les règles de l’art, et je l’ai pleinement assumé. À l’étranger, j’ai traversé toutes les étapes de ma vie d’adulte : mes diplômes, mon premier emploi, mon premier bébé (très vite suivi du deuxième !), et même les petites galères comme la déclaration fiscale. même que j’avais mené une petite carrière entrepreneuriale en travail autonome après la crise des subprimes. Cette vie très indépendante, souvent perçue comme une grande solitude par mes proches restés au pays, a profondément influencé ma vision du travail, des responsabilités et de l’engagement.

Cela fait maintenant 11 ans et 7 mois que je me déconstruis pour me reconstruire à Madagascar. Honnêtement, je suis revenue aux sources très lentement, après plusieurs chocs professionnels. Dès mon arrivée, j’ai dû me rendre à l’évidence : la profession d’architecte, peu valorisée, ne me permettait pas de gagner ma vie. Alors, j’ai plongé dans l’entreprise familiale, qui s’est spécialisée dans la décoration d’intérieur. Vous pourriez dire que ce n’est pas si éloigné, mais l’art de dédouaner un conteneur de produits importés selon les us et coutumes malgaches, c’est vraiment une autre histoire, mes amis. Sans aucune compétence en vente, il fallait me voir me débrouiller avec les caprices et les sourires. Cette expérience a forgé les bases de la firme d’architecture que j’allais créer : le réseautage et une incroyable patience face au manque de pédagogie et de connaissance dans toute chose normée ou fabriquée pour la clientèle.

Mais l’expérience de “Re-pat” ne peut se clore sans la grande consécration du “Vous n’avez qu’à entrer dans le système si vous n’êtes pas d’accord avec ce qui se passe”. Bien sûr, je suis entrée dans la fonction publique et j’ai obtenu un IM. Bien sûr, j’ai fait de mon mieux pour apporter mes compétences. Bien sûr, cela n’a pas du tout marché. Mais la ligne sur LinkedIn est bien là, avec tous les décrets de nomination et d’abrogation pour attester de l’expérience. Ce que j’en retiens surtout, c’est d’avoir eu l’opportunité de travailler aux côtés de jeunes inspirés par la fonction, qui n’avaient pas envisagé une carrière ou un poste au service du bien commun. Je ne les mentionnerai pas ici, mais je viens encore de compléter un dossier de recommandation pour une de “mes” stagiaires.

Quand est-ce que la société vous accepte “à nouveau” comme faisant partie du sérail après avoir vécu à l’extérieur ? Est-ce validé après avoir été élue et avoir fondé plus d’une demi-douzaine de bureaux associatifs ? Est-ce le fait d’avoir accompli rigoureusement tous les adidy familiaux au nom de parents absents ? Est-ce avoir voté scrupuleusement à chaque élection ? Est-ce que voyager systématiquement par les routes secondaires plusieurs fois par mois fera de moi enfin une “vraie” Malgache, non pas seulement par filiation et droit du sol ? Est-ce que relire Raombana, en croisant avec le Tsiny et Tody du Pasteur Andriamanjato, tout en avançant péniblement sur Lisy Mianjoria de Njo, me ferait accepter parmi les gens du pays ? Est-ce construire en terre crue et explorer la filière des bois de construction endémique ?

Ce long post est une réflexion sur l’intérêt de vouloir revenir à l’état de 2000 alors que l’on a mûri de 24 ans, et que jeter l’éponge plusieurs fois ou avoir escaladé d’immenses montagnes ne signifie pas simplement avoir grandi et élargi ses perspectives. Un pays comme Madagascar n’est finalement pas une destination, mais une richesse en rites de passage et en accomplissements. La diversité des communautés qui composent son beau syncrétisme culturel restera toujours notre point de repère, notre enracinement — aussi paradoxal que cela puisse paraître. Il est totalement absurde d’affirmer que Madagascar est une impasse ou un endroit à quitter à tout prix.

Au final, qui que l’on soit, d’où que l’on vienne, on s’arme de sa force de caractère, on apprend à s’entourer de personnes bienveillantes et de bonne foi (on apprend, je dis bien, on apprend), et on travaille. Que l’on soit “native”, “re-pat”, vahiny ou zanatany, nous sommes là pour travailler, et pour bien travailler. Je termine avec une citation d’un article du FT sur Tony Elumelu, posté cette semaine sur un profil LinkedIn :

“I support it, totally,” he says of skilled young Nigerians emigrating. “I don’t have a problem with people saying ‘I’m going to Canada, UK or US.’
“Joblessness is the betrayal of a generation. You’ve gone to school and come back with your dreams and aspirations and you don’t have the opportunity… People who decide to find solutions elsewhere, no one should stop them. But for those who decide to stay, they should try to create an impact and build a legacy.”
Nigerian entrepreneur Tony Elumelu: “America was colonised too and look at where they are”, article from the Financial Times by Aanu Adeoye, August 9, 2024.

photo des 3 compères prises par Daniel Albert Dartiguepeyrou le 1er compère qui nous a guidés par monts et par vaux dans ces périples des collines des Tsangatsangana, Balades en Imerina, Madagascar.

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