Un peu comme le front dégarni d’un raiamandreny, Antananarivo perd petit à petit sa canopée d’arbres centenaires et son tapis de verdure urbaine. Les très rares parcs urbains sont tellement verrouillés pour éviter le vandalisme qu’on commence à croire que ce sera le seul scénario idéal pour préserver la végétation. Ben non. Vazy. Tellement pas. Comme les campagnes de sensibilisation coûtent très cher et que les sanctions sont très difficiles à appliquer, la situation semble inextricablement hopeless. Donc on ne va même pas tenter de résoudre cette équation dédiée aux spécialistes en gouvernance. Moi, je préfère parler des arbres urbains et ce qu’on fait en ce moment. Si j’aime bien rappeler les textes, c’est aussi pour tapisser mes idées d’une bonne chape de savoir factuel et vérifié. Déjà commencer par le commencement : que faut-il faire des arbres en milieu urbain ?
À Antananarivo, le traitement paysager des arbres a évolué de pratiques ancestrales profondément enracinées dans la cosmogonie malgache à une transformation radicale sous la colonisation française. Historiquement, les arbres indigènes comme l’aviavy (figuier) et le hazomalany (Ficus maclellandii) étaient considérés sacrés, jouant un rôle central dans les rituels et croyances malgaches. Ces arbres étaient souvent plantés près des tombes familiales ou des lieux de culte en l’honneur des razana (les ancêtres), marquant la connexion entre le monde des vivants et celui des esprits.
Les pratiques rituelles autour de ces arbres incluaient des offrandes et des prières pour demander la bénédiction des ancêtres et maintenir l’harmonie avec la nature. Les arbres étaient intégrés dans la gestion des espaces urbains et ruraux, non seulement pour leur ombre et leur bois, mais aussi pour leur rôle symbolique dans la continuité des traditions. Le ravintsara (Cinnamomum camphora) et le hasina, un terme désignant à la fois le Dracaena (Dracaena marginata) et les arbres sacrés en général, étaient plantés dans des endroits stratégiques pour attirer la bienveillance des esprits protecteurs, notamment autour des villages ou des résidences royales.
Cependant, il est intéressant de noter que les photographies et illustrations du XIXe siècle, notamment celles réalisées par le missionnaire William Ellis comme “View of the Palace of the Queen of Madagascar” (1869), ne montrent pas la rangée d’aviavy devant le Manjakamiadana, le palais royal. Ces documents visuels, parmi les premières images du site, suggèrent que ces arbres n’étaient pas encore présents à cette époque. Il est probable qu’ils aient été plantés ultérieurement, peut-être au cours de la période coloniale ou après, en réponse à l’évolution du paysage urbain sous l’influence européenne ou pour renforcer leur symbolisme sacré dans la ville.
Avec l’arrivée des colons français à la fin du XIXe siècle, la gestion des espaces verts a changé : les autorités coloniales ont introduit des espèces exotiques comme le flamboyant, l’eucalyptus, et le jacaranda pour embellir les avenues et les quartiers administratifs, souvent au détriment des espèces locales et des pratiques rituelles associées. Le jacaranda, originaire d’Amérique du Sud, s’est particulièrement bien acclimaté à Madagascar. Sa floraison violette spectaculaire, devenue emblématique de certaines avenues d’Antananarivo, a également marqué d’autres villes coloniales comme Pretoria en Afrique du Sud ou Harare au Zimbabwe.
L’administration coloniale voyait les arbres comme des outils d’embellissement et de modernisation, tandis que les pratiques ancestrales de respect des arbres sacrés étaient marginalisées. Cela a marqué une rupture dans la gestion paysagère de la capitale, où les arbres sont passés de symboles spirituels à des instruments de contrôle urbain et d’ordre colonial. Le jacaranda, comme les aviavy aujourd’hui présents au Manjakamiadana, illustre l’importation d’un nouveau type de paysage urbain, où les arbres sont devenus des marqueurs visuels du pouvoir colonial tout en modifiant l’identité visuelle et culturelle de la ville.
En milieu urbain, il n’existe pas de loi spécifique interdisant l’abattage d’un arbre simplement parce qu’il a été planté avant la construction d’une propriété voisine. Toutefois, des réglementations locales sur la protection des arbres, le droit de nuisance, ou des ordonnances de conservation peuvent limiter l’abattage, surtout si l’arbre est protégé ou présente un intérêt écologique. En cas de dommages causés par l’arbre, le propriétaire affecté peut demander des mesures correctives, comme l’élagage ou l’abattage, selon les lois locales.
La médiation et la sensibilisation sont donc essentielles pour gérer les conflits liés aux arbres en milieu urbain. Par exemple, un arbre très grand aurait pu être planté bien avant la fièvre du morcellement foncier, une pratique résultant du partage des héritages. Souvent, les descendants, peu conscients de la signification culturelle et écologique de l’arbre, privilégient l’abattage pour des raisons économiques. Un exemple frappant réside à Faravohitra, où des antennes de téléphonie ont remplacé des arbres remarquables, bien que la location ait été financièrement bien négociée.
Dans les jardins d’Antananarivo, on observe cependant des espèces comme le bambou Dendrocalamus et les bananiers. Introduits principalement pour des raisons utilitaires et esthétiques, ils portent des symboliques liées à la résilience et à la prospérité. Le bambou, souvent utilisé dans la construction et l’artisanat, symbolise la flexibilité et l’harmonie, tandis que les bananiers, associés à l’abondance et à la fertilité, sont parfois plantés près des habitations pour attirer la prospérité. Bien que leur lien avec la cosmogonie malgache soit moins direct que celui d’autres arbres sacrés, ils occupent une place importante dans le paysage urbain et les traditions culturelles locales.
L’application des stratégies de protection des arbres dans une ville comme Antananarivo pourrait tirer des leçons des initiatives observées dans des villes aux réalités socio-économiques similaires. À l’image de Nairobi, où le Green City Initiative a été développé pour intégrer des espaces verts en tenant compte des défis économiques, Antananarivo pourrait suivre un modèle qui conjugue protection environnementale et développement urbain. À Bogotá, des initiatives de reforestation urbaine visent à lutter contre les îlots de chaleur et à offrir des espaces publics inclusifs, tandis qu’à Mexico City, un plan pour planter des millions d’arbres dans les zones défavorisées a montré des bénéfices en matière de qualité de l’air et d’implication citoyenne. Ces exemples pourraient inspirer la capitale malgache à adapter des solutions locales pour protéger les arbres existants et lancer des projets de reforestation, tout en créant des emplois verts et renforçant la résilience climatique de la ville.
Lorsqu’on observe les boulevards et rocades de la basse ville, aujourd’hui densément urbanisés et toujours aussi marécageux, on peut légitimement se questionner sur la place accordée à la végétalisation dans ces grands projets de planification. Les arbres plantés dans ces zones sont souvent plus exposés aux élagages qu’à de nouvelles plantations. Espérons que les nouvelles tentatives de verdissement, comme celles de Tsarasaotra avec les bananiers, puissent survivre suffisamment longtemps pour montrer leur exemplarité.
Photo : énorme Ravintsara trentenaire du fond du jardkn élagué ya 4 ans de cela par les pompiers. Camilou hier m’avait fait la remarqué comme quoi “dis donc il a blow-up-glow-up notre arbre depuis qu’on a taillé ses branches : tu penses les voisons vont encore râler?”