Cette fois-ci, je vais vous emmener sur l’une de mes thématiques de prédilection : le placemaking. Je passe au minimum deux fois par jour devant la cité d’Analamahitsy, une cité qui incarne une authenticité urbaine rarement égalée dans les projets de logements sociaux à Madagascar. Je ne vais aborder ici que ses espaces publics, car eux aussi se distinguent par une singularité qui aurait dû servir de modèle aux nombreuses tentatives ratées de nouveaux quartiers. Le tsena (marché) et la placette dédiée aux be antitra (les anciens), situés le long de la route pour bien marquer les entrées de la cité, n’ont jamais vraiment été envahis par les vendeurs ambulants et autres kiosques parasites. Sans aucun doute, cette résistance à l’envahissement commercial s’explique par des habitants profondément enracinés dans leur milieu, capables de faire respecter leurs règles du jeu, à la fois entre eux et vis-à-vis des autres.
Mais c’est en se promenant un peu plus loin que l’on découvre le cœur du quartier : la bien nommée Kianja Analamaintso. Je ne connais pas grand-chose de son concepteur (quoique cela me prendrait moins de deux clics pour le retrouver), mais le kianja voisin et celui, tout neuf, en Haute Ville font franchement pâle figure face à cet oasis, véritable havre de paix, chantre de la culture urbaine, et scène incontournable de la musique urbaine malgache.
Le kianja est une place publique traditionnelle qui joue un rôle central dans l’urbanisme malgache, en particulier dans les villages et petites villes. C’est un espace de rassemblement communautaire où l’on se retrouve pour des événements sociaux, des réunions, des cérémonies ou des marchés. Cet espace reflète la culture du vivre-ensemble et de la coopération, si importantes dans l’organisation urbaine malgache.
Dans les villages, ils sont souvent situés au cœur de l’agglomération, entourés de trano gasy (maisons traditionnelles), d’églises ou de lieux de réunion communautaires. Multifonctionnels par nature, les kianja peuvent servir de terrains de jeux, de lieux de réunions ou de marchés temporaires. Traditionnellement, c’est aussi le lieu où les personnes âgées se rassemblent pour discuter des affaires du village, à l’image des conseils villageois d’autres cultures.
L’impact colonial a modifié la conception des kianja dans de nombreuses villes malgaches. Pendant la période coloniale, les autorités françaises ont souvent remodelé les places publiques et introduit des éléments d’urbanisme européen. Cela a parfois dénaturé la fonction communautaire de ces espaces, les transformant en lieux plus formels et institutionnels, destinés aux rassemblements officiels plutôt qu’à la vie quotidienne des habitants. Cependant, malgré cette influence, les kianja ont conservé des éléments indigènes importants et continuent d’incarner l’esprit de la solidarité et de la vie collective.
Ce modèle a évolué avec l’urbanisation, mais il reste un pilier de la vie sociale, aussi bien en milieu rural qu’urbain. Les kianja modernes se transforment souvent en parcs ou zones de détente, tout en conservant leur fonction de lieu de rencontre et d’interaction sociale. À Madagascar, ils représentent aussi un espace où la vie politique locale peut s’exprimer à travers des discours ou des rassemblements communautaires.
Les espaces verts oubliés de Madagascar
À Madagascar, nos initiatives urbaines gagneraient à s’inspirer de ces modèles de convivialité et d’inclusion. J’ai vu quelques tentatives intéressantes comme les jardins publics gratuits à Ivato, qui incluent des mobiliers de style bangwe. Cependant, ces initiatives restent rares dans un contexte où seulement 16 % des villes disposent d’un plan d’aménagement urbain. Pendant ce temps, des espaces comme Ambohijatovo, autrefois considérés comme le poumon vert d’Antananarivo, sont peu accessibles aux habitants en raison de divers blocages politiques et sociaux. De même, le jardin de la CNAPS est devenu un lieu réservé à certains, et les plus précaires, ceux qui auraient le plus besoin d’un accès gratuit à ces espaces, en sont souvent exclus. Et que dire du jardin d’Antanimbarinandriana, autrefois un symbole de la ville, mais aujourd’hui devenu marché de voitures d’occasion.
Il est important de rappeler que, selon les normes de l’Organisation mondiale de la santé, une ville devrait offrir au moins 9 m² d’espaces verts par habitant pour garantir un environnement sain et équilibré. Or, Antananarivo offre actuellement moins de 2 m² par habitant, bien en deçà des standards internationaux selon UNHABITAT. En comparaison, des villes comme Londres ou New York s’efforcent de maintenir un minimum de 10 m² d’espaces verts par habitant.
Les investissements dans les espaces publics peuvent également avoir un impact économique positif. Des études montrent que la création de parcs peut augmenter la valeur des propriétés environnantes de 20 % à 25 %, un facteur que Madagascar pourrait exploiter pour financer de nouveaux projets d’espaces publics.
Voici un extrait de mon post de juillet 2021, écrit depuis les Comores :
Le Bangwe, l’arbre à palabres, est une place publique où les vieillards du village rassemblent la communauté. Il s’agit d’un espace semi-clos omniprésent dans toutes les villes et villages que j’ai visités sur l’île de Ngazidja. Ils sont souvent installés au pied d’arbres centenaires, soigneusement préservés. La page de l’UNESCO évoque leur disparition progressive. Je dirais oui et non, car même si leur entretien, lorsque ces arbres datent de temps immémoriaux, doit être fait avec soin, j’ai découvert des dizaines de réinterprétations architecturales modernes du Bangwe, grâce à l’animation qu’il apporte et à la créativité des artisans comoriens.
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