j’emprunte cette belle photo de notre “voisin” Daniel Albert Dartiguepeyrou depuis Soamahatony. ayant vécu une très grande partie de ma vie au bord de la Mamamba, j’éprouve naturellement un attachement pour l’eau et son écosystème tellement spécifique dans Antananarivo, ses zazavavindrano et les canards.

Je profite aussi de ce samedi soir de la 1ère pluie de la saison pour vous parler et reparler du Betsimitatatra car j’ai encore croisé des voix très dissonnantes IRL de techniciens sans doute très compétents (dans le choix des carrelage des salles de bain ou la signalétique des terrains de foot, go figure) pour advocater le remblaiement totale de notre si belle plaine de wetlands. En attendant la projection du Sitabaomba, Chez les zébus francophones de Nantenaina Lova qui a porté la voix des communautés de la Laniera dans les grandes salles du Monde. *proud

La plaine du Betsimitatatra, qui s’étend sur 34 000 hectares, constitue près de 40 % de la superficie totale de la commune urbaine d’Antananarivo【L’Express Madagascar】. Ce vaste espace agricole, historiquement utilisé pour la riziculture, abrite aujourd’hui une population dense, issue principalement de couches socio-économiques défavorisées. Le revenu moyen de ces habitants est nettemenr inférieur à 200 000 MGA par mois (environ 50 USD), ce qui les rend particulièrement vulnérables aux inondations et aux transformations urbaines【Land Portal】【BRL Ingénierie】.

Les communes de Alasora (10 %), Fenoarivo (8 %), et Ambohimanambola (12 %) dépendent fortement des systèmes traditionnels d’irrigation mis en place sous les règnes des rois Merina, tels qu’Andrianampoinimerina, pour réguler l’écoulement des eaux et préserver les terres rizicoles grâce aux digues construites par les foko (clans).

Antananarivo fait face à d’importants défis en matière de gestion de l’eau, à la fois pour l’approvisionnement en eau potable et pour le traitement des eaux usées. Au cours des 20 dernières années, plusieurs programmes ont été lancés pour améliorer ces services, mais de nombreux projets n’ont pas abouti ou sont restés incomplets, exacerbant les risques dans la plaine du Betsimitatatra.

Le Projet d’Amélioration de la Gestion de l’Eau (PAG), lancé au début des années 2000, avait pour objectif d’améliorer l’accès à l’eau potable dans la ville et de développer des infrastructures de traitement des eaux usées. Cependant, bien que des stations de traitement aient été envisagées dans le cadre de ce projet, celles-ci n’ont pas vu le jour, et le réseau de canalisations a continué à se dégrader. Une des stations, prévue dans la région d’Ambohimanambola*, devait traiter les eaux usées pour éviter qu’elles ne se déversent directement dans la plaine du Betsimitatatra. Ce projet, partiellement financé par des bailleurs internationaux, aurait permis de réduire les pollutions dans la plaine, mais il n’a jamais été finalisé【BRL Ingénierie】.

Les besoins en eau potable pour Antananarivo sont estimés à environ 300 000 m³ par jour, mais la production actuelle ne couvre que 180 000 m³, laissant un déficit journalier de 100 000 m³. Ce manque est aggravé par la vétusté des infrastructures, qui entraîne des pertes estimées à 20 % de l’eau produite chaque jour, notamment à cause des fuites dans le réseau de distribution. Cela signifie qu’environ 60 000 m³ d’eau sont perdus quotidiennement avant d’atteindre les foyers 【Malagasy News】. En comparaison, des villes de taille similaire dans des pays en développement, comme Kampala en Ouganda, ont pu relever ces défis en développant des infrastructures résilientes et durables. À Kampala, la station de traitement de Ggaba fournit plus de 240 000 m³ d’eau par jour à la ville, ce qui montre qu’une ville de cette envergure peut, avec une gestion appropriée, combler le déficit【Kampala Water Supply】.

En ce qui concerne les eaux usées, moins de 20 % des effluents d’Antananarivo sont traités avant d’être rejetés dans la nature. La majorité des eaux usées sont directement déversées dans les rivières environnantes, qui finissent par se déverser dans la plaine du Betsimitatatra, aggravant la pollution des terres agricoles et compromettant la qualité des récoltes. Le programme de gestion des eaux usées inclus dans le Projet d’Assainissement d’Antananarivo (PAA) n’a pas été pleinement mis en œuvre en raison de problèmes financiers et d’une mauvaise planification【BRL Ingénierie】.

Ces problématiques d’eau potable et d’eaux usées sont intrinsèquement liées à la question du remblai dans la plaine du Betsimitatatra. Le remblayage sauvage et non planifié perturbe non seulement les systèmes d’irrigation traditionnels, mais il affecte également l’écoulement des eaux pluviales et usées, créant des zones d’inondation et des points de stagnation de l’eau polluée. Si les projets d’infrastructures de traitement des eaux usées avaient été réalisés, comme prévu dans le cadre du PAG ou du PAA, les impacts des remblais sauvages sur l’environnement et la santé publique auraient pu être atténués.

Les remblais dans les zones inondables perturbent l’écoulement naturel des eaux, redirigeant celles-ci vers d’autres secteurs de la ville. Cette pratique a provoqué une hausse significative de la valeur foncière dans les zones remblayées, qui peut augmenter de 300 % à 500 % en fonction de l’emplacement. Par exemple, des terrains autrefois marécageux, utilisés pour la riziculture, sont vendus à des prix beaucoup plus élevés après remblayage, notamment dans des zones périphériques comme Alasora ou Ambohimangakely. Cependant, ces profits privés se font au détriment de la communauté locale, car les coûts liés aux inondations et aux pertes agricoles dépassent largement les gains des promoteurs.

Malgré l’existence de plans d’urbanisme tels que le Plan d’Urbanisme de Détail (PUDé) et des programmes d’assainissement comme le Programme Intégré d’Assainissement d’Antananarivo (PIAA), de nombreux remblais ne respectent pas ces directives. Les PUDé, qui devraient encadrer la viabilisation des terrains et la construction des réseaux d’assainissement, sont souvent ignorés dans la pratique. Par exemple, des projets dans des zones comme Alasora ou Bongatsara ont été réalisés sans que les infrastructures d’assainissement ne soient correctement mises en place, aggravant les problèmes de drainage.

Le projet PRODUiR (Projet de Développement Urbain Intégré et Résilience), lancé avec l’appui de la Banque Mondiale, vise à renforcer la résilience des zones inondables d’Antananarivo, notamment dans des quartiers comme Andavamamba, Anosibe, et Ankazomanga. Il couvre plus de 200 hectares et touche plus de 1,2 million de bénéficiaires, avec un budget de 75 millions USD.

La Laniera est une zone clé du système d’irrigation traditionnel qui régule l’écoulement des eaux dans la plaine du Betsimitatatra. Depuis les règnes des rois Merina, notamment Andrianampoinimerina, des digues et canaux ont été construits par les foko pour protéger les terres rizicoles contre les crues. Toutefois, aujourd’hui, cette zone est fortement menacée par des projets d’infrastructure, tels que la rocade et la future autoroute. Le Décret n°2019-1543, en application de la Loi n°2015-052 relative à l’Urbanisme et à l’Habitat, régule strictement les travaux de remblaiement dans ces zones sensibles. Ce décret stipule que tout transport de matériaux pour remblaiement est interdit dans l’agglomération du Grand Antananarivo entre le 1er décembre et le 15 avril, sauf dérogation spéciale【BRL Ingénierie】. De plus, l’Arrêté Municipal n° 112-CUA/CAB 2.0 du 24 janvier 2020 suspend toute autorisation de remblai ou de déblai dans la Commune Urbaine d’Antananarivo, confirmant l’arrêté précédent de 2015. Après faut rester à jour vue la vitesse avec laquelle les décrets pour “Projets Prioritaires” sont émis…juste espérer qu’on y respecte quelques articles du décret MECIE.

Le Parc de Tsarasaotra et Son Statut Ramsar, situé dans la Laniera, est une zone protégée de 20 hectares, classée Ramsar depuis 2005. Il sert de refuge à plusieurs espèces d’oiseaux d’eau endémiques menacées, comme le crabier blanc et le canard de Meller. Ce site unique est la seule zone Ramsar au monde en propriété privée, et sa préservation est cruciale, non seulement pour la biodiversité, mais aussi en tant que témoin des infrastructures hydrologiques historiques qui ont façonné la plaine du Betsimitatatra【Ramsar Site Information Service】.

Des solutions existent cependant. En prenant exemple sur des villes comme Rotterdam, qui utilise des bassins de rétention multifonctionnels pour gérer les eaux pluviales, ou encore la Louisiane, qui a restauré des zones humides pour absorber l’excès d’eau, Antananarivo pourrait envisager des alternatives plus durables. Ces solutions fondées sur la nature permettent non seulement de réduire les risques d’inondation, mais aussi de préserver l’environnement.

Un exemple frappant des risques liés à la construction d’infrastructures dans des zones humides est celui du Bangladesh. Dans ce pays, où plus de 60 % des terres sont des zones humides, la construction de routes et d’infrastructures a profondément perturbé les écosystèmes et aggravé les inondations saisonnières. Selon les rapports, les inondations récurrentes affectent plus de 68 % du pays pendant la mousson, déplaçant des millions de personnes et détruisant chaque année environ 970 000 hectares de terres agricoles.

À Singapour, des mesures strictes d’application des lois et des sanctions sévères ont été mises en place pour éviter des constructions illégales. Des amendes dissuasives sont imposées, et les permis peuvent être révoqués si les règles d’urbanisme ne sont pas respectées. Un exemple similaire peut être trouvé en Normandie, où des drones et des technologies de télédétection sont utilisés pour surveiller et prévenir les remblais illégaux, une approche qui pourrait être adoptée à Antananarivo.

En conclusion, la régulation stricte des remblais et la mise en œuvre effective des plans d’assainissement sont essentielles pour préserver la plaine du Betsimitatatra et protéger Antananarivo contre les catastrophes hydrologiques futures. J’aime à rappeler ici ce constat noyé dans mon texte décidément trop long : Si les projets d’infrastructures (…) avaient été réalisés, comme prévu, les impacts des remblais sauvages sur l’environnement et la santé publique auraient pu être atténués.

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