Le terme “syncrétisme” vient du grec ancien “συνκρητισμός” (sunkrêtismós) qui signifie “union des Crétois” (1).
Malgré les échanges de population, de marchandises et de religions qui ont perduré pendant plus de deux millénaires, le Malgache moyen (dont moi-même) ne pourrait pas identifier l’emplacement ni le nom des villes le long de la côte du Canal de Mozambique. Si l’on devait relater un épisode précurseur de la saga malgache, je paraphraserais Al-Ramhormuzi, le persan, dans son ouvrage “Ajayeb al-Hind” (2), sur une bataille navale épique qui a eu lieu en 945-946 après J.-C :
“Qanbaloh s’est réveillée avec à l’horizon mille vaisseaux Borobudur de l’Empire Tessalonique de Srivijaya. Ils étaient venus asservir les Zandjî et coloniser ces comptoirs riches en or (ou plutôt en fer) et en ivoire provenant du cœur de l’Afrique. L’expédition “Waq Waq” (3) s’est soldée par un échec, mais l’Histoire a prouvé que ces civilisations, bien après leur déclin, allaient perdurer sur l’île de Madagascar.”
En réalité, il est vrai que nous pourrions nous égarer en traquant les vagues de peuplement pendant la période paléo-malgache, avec les Vazimba, les Vezo, les Ntaolo, les Mikea, etc. (4). Cependant, je pense que mon récit serait plus romancé si je mettais plutôt en lumière le destin parfois tragique de ces diasporas bantoues et bajars qui sont venus migrer grâce aux vents de la mousson et aux échanges commerciaux. Les Austronésiens ont apporté le riz (5), et nos ancêtres bantous ont également enrichi notre patrimoine génétique (à hauteur de plus de 60%) (6), ainsi qu’un pan entier de notre culture.
D’où viennent donc nos racines bantoues ? ou plutôt qu’est ce qui ferait du malgache un descendant de la civilisation bantoue? Environ 350 millions de personnes dans le monde ont une ascendance bantoue, et elles sont dispersées sur l’ensemble du territoire subsaharien, de l’océan Atlantique à l’océan Indien. Par exemple, l’Empire bantou le plus proche de Madagascar, le Mutapa, qui a régné du 9e au 15e siècle, a créé le fabuleux site du Grand Zimbabwe, dont le territoire s’étendait jusqu’au Mozambique (7). Qanbaloh, qui serait l’ancien nom de Pemba (8), faisait partie de ces citadelles, tout comme Mombasa, fondée vers le Xe siècle, Sofala, la puissante Zanzibar, la grande Kilwa citée très tôt dans les textes arabes depuis le 8e siècle, et même Aden, qui jouera un rôle dans l’histoire de Madagascar, mais cela sera abordé dans les siècles suivants.
À cette époque, on ne peut pas encore parler véritablement de domination musulmane, bien que des influences persanes et, surtout, omanaises aient déjà entamé le processus de métissage dans la région. De plus, les Zang n’ont pas été identifiés comme un peuple maritime (8), contrairement à leurs descendants les Swahili.
Certaines communautés du nord de Madagascar parlent exclusivement une langue africaine d’origine arabe, le Swahili, jusqu’à nos jours. Il est important de distinguer que les personnes parlant Swahili ne sont pas exclusivement bantoues, mais peuvent également être afro-arabes (descendants de Persans), notamment dans la région de Zanzibar, ainsi que comoriennes (9). Alors que ces derniers ont été islamisés très tôt, nous pouvons observer dans les pratiques malgaches plusieurs influences bantoues des Africains Zanj, notamment dans les médecines traditionnelles et chamaniques qui sont proches de leurs racines animistes africaines (encore bien vivantes chez les Mikea, peuple de la forêt, et les Vezo, peuple de la mer) (10). Je vais approfondir ce paragraphe avec des références solides, car cela nécessitera une bonne lecture sur les pharmacopées et une distinction claire des influences arabes, qui sont arrivées bien plus tard (n’oublions pas que nous sommes au Xe siècle).
Notre héritage bantou demeure profondément ancré dans la vie malgache, que ce soit dans notre quotidien domestique ou spirituel. En raison de la proximité entre les tribus, bien que les premières vagues de migration aient été volontaires, les migrations ultérieures après le XIIe siècle à travers le commerce des esclaves ont conduit à l’exploitation de jusqu’à 400 000 Africains à Madagascar ou en transit vers les Mascareignes et malheureusement bien plus loin dans le monde (11). Les civilisations ont ainsi pu échanger et évoluer par le biais du syncrétisme, comme en témoignent certains rituels chrétiens indigénisés que l’on peut encore observer de nos jours. Ces rituels jouent avec les antagonismes présents dans la spiritualité malgache, tels que la mort et la vie, la sorcellerie et la magie. J’aimerais consacrer davantage de temps à approfondir ces thèmes (les deux paragraphes sont d’ailleurs liés), et j’attends également des retours documentés, référencés et critiques de la part de mes lecteurs.
Je mentionne enfin ici que les recherches se sont concentrées sur l’influence bouddhiste de Śrīwijaya dans l’océan Indien. Cet empire a perduré pendant plus de cinq siècles et a profondément transformé les relations sociales et économiques jusqu’à la côte occidentale de l’océan Indien. Bien que nous pourrions continuer à approfondir les vagues migratoires bantoues à Madagascar, nous découvrons à travers nos lectures qu’il y a eu un véritable changement à partir du moment où les Austronésiens ont décidé d’établir un comptoir permanent à Madagascar. Les histoires au sein de l’Histoire ne s’arrêtent pas là, au contraire, nous découvrirons dans ces belles civilisations malgaches nées du métissage entre les Bantous et les Bajars une impressionnante hégémonie régionale et une production infinie de richesses, qui ne sont pas uniquement attribuables à notre biodiversité 5 étoiles…
(1) συγκρητισμ́ος Plutarque (De fraterno amore, 19)
(2) Ajayeb al-Hind Buzurg ibn Shahriyār, active 10th century; Lith, P. A. van der (Pieter Antonie), 1844-1901; Devic, L. Marcel https://archive.org/details/kitabajayibalhin00buzu
(3) id.
(4)The first migrants to Madagascar and their introduction of plants: linguistic and ethnological evidence, Philippe Beaujard (2011)
(5)The Culture History of Madagascar, Robert E. Dewar and Henry T. Wright (1993)
(6) Genome-wide evidence of Austronesian–Bantu admixture and cultural reversion in a hunter-gatherer group of Madagascar, Denis Pierron, Harilanto Razafindrazaka, Luca Pagani, +8, and Toomas Kivisild (2014)
(7) Cultural influences and the contribution of Africa to the settlement of Madagascar, P. Verin (1974)
(8) Commerce maritime et islamisation dans l’océan Indien : les premières mosquées swahilies (xie-xiiie siècles) Stéphane Pradines (2012)
(9) Johnston, Harry H., and Emil Birkeli. 19. The Bantu in Madagascar: The Malagasy race
affinity. Journal of the Royal African Society, 19:5–16.
(10)Le peuplement de l’Océan Indien et le peuplement de Madagascar, Paul Ottino (1976)
(11)
The proto-Malagasy borrowed words came from an extinct Bantu language, for which the name Azanian has been proposed, spoken along the northern Tanzanian coasts beginning around the second cen- tury BCE. The Azanians began to be displaced no later than the third century CE by new Bantu communities speaking an early dialect of the Upland Bantu group. The Upland dialect in turn gradually dropped out of use in favor of a different Bantu language, proto-Northeast-Coastal, the early speakers of which first migrated to the coast from te East African interior at around the fourth century
Linguistic Testimony And Migration Histories, In: Migration History in World History, Christopher Ehret, 2010
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Summary
Intro https://purplecorner.com/syncretism/
Part 1 https://purplecorner.com/protohistoire-de-madagascar-nos-origines-banjar-sous-lempire-sriwijaya/
Part 2 https://purplecorner.com/histoire-de-madagascar-nos-origines-bantou-durant-lere-sriwijaya/
Part 3 https://purplecorner.com/histoire-de-madagascar-le-destin-de-la-civilisation-laissee-par-sriwijaya/
Outro
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