Miasa Talàta

J’avais partagé mes réflexions sur ce qui ferait de moi une “native”, et c’était juste limité aux pratiques sociales du genre “on ne m’invite pas du tout aux happenings Re-Pat ex-Diaspo ireny fa tsy koi.” Donc là, j’ai eu un fou rire en me rappelant vraiment la 1ère fois où je me suis sentie complètement devenue “native” travaillant à la malgache. C’est lorsque Mario avait sorti un “Tsika tsy miasa Talàta zany” dans une conversation sur nos projets futurs. Cette phrase, anodine pour certains, venait justement rappeler la réalité malgache dans notre manière de travailler : chaque jour compte, et on n’a pas le luxe de faire les choses à moitié.

Le “miasa talàta”, historiquement, c’était même associé aux travailleurs journaliers qui, souvent, n’étaient pas payés pour le mardi. Ce manque de paiement pour une journée de la semaine a fait que le mardi devenait un jour “oublié”, un moment de pause non rémunéré, laissant penser que l’effort pouvait être relâché. L’expression traduit donc bien cette idée de travail à moitié, ou en pointillé, influencée par le fait que les rémunérations n’étaient pas toujours garanties pour ces jours-là, un rythme qui oscille entre insouciance et réalités économiques.

Et pourtant, là, on était loin de “miasa talàta”. On jonglait avec 3 projets de plus de 1000 m² chacun, je venais d’accoucher de Caro en 2017 et je la traînais de chantier en chantier, cherchant désespérément comment, mais alors comment, équilibrer logistique, finances et… dignité. Disons que ça va un peu mieux 7 ans après, mais je tenais à partager un peu sur cette situation abusée galère du “miasa talàta” et ce que ça évoque vraiment. Geez ya de quoi raconter en novegasy dans les gatherings repat-diaspo, non? Non? Non. Ok alors.

Surtout que dans notre secteur, la galère n’est jamais bien loin. On ne reçoit nos paiements qu’au minimum 60 jours après réception de la facture, et quand l’entreprise nous connaît bien, on peut espérer 30 jours. Cette année, j’ai même pu récolter mes recouvrements de 2020 – imagine la joie ! – et il ne reste plus qu’à attendre les impayés de 2021, 2022, 2023… dia vita ny chocolat ! Oui, je suis devenue cynique, mais on a de la chance comparé à d’autres dans le secteur. Tout en bas de l’échelle, pour les journaliers, le “miasa talàta” garde toute sa réalité, parce que leurs conditions, elles, ne changent jamais vraiment.

À Madagascar, pour ceux qui préfèrent l’ignorer, j’informe que la profession de manœuvre dans le secteur de la construction est encadrée par le Code du Travail, qui fixe les droits et obligations en matière de contrat, de salaire minimum et de sécurité. Ce cadre est complété par des décrets, comme celui de 2010-1250 sur la santé et la sécurité au travail, qui oblige les employeurs à fournir un environnement sûr, notamment par l’usage d’équipements de protection individuelle (EPI) et des formations spécifiques. L’arrêté 18658/2015 détaille les conditions de travail dans le BTP, imposant des règles d’hygiène et de sécurité sur les chantiers. Pour prévenir les accident, les employeurs doivent souscrire une assurance pour indemniser les travailleurs, conformément au décret 2007-1362. Par ailleurs, l’affiliation des manœuvres à la CNaPS garantit leur couverture sociale. Ces réglementations, renforcées par certaines conventions collectives et les normes de l’Organisation Internationale du Travail, visent à offrir aux manœuvres des conditions de travail décentes et sécurisées, bien que leur application reste un défi dans un secteur aux moyens souvent limités mais où les marges des entreprises pour certains travaux sont juste énoooooormes.

Les accidents de travail dans le secteur de la construction à Madagascar représentent un défi préoccupant, avec environ 30 % des accidents de travail enregistrés chaque année provenant de ce secteur, selon les données de la Caisse Nationale de Prévoyance Sociale (CNaPS). Ces incidents, souvent dus à des chutes de hauteur, des blessures par outils ou des manipulations de matériaux lourds, touchent principalement les manœuvres, qui représentent plus de 60 % de la main-d’œuvre sur les chantiers. Bien que le Code du Travail et le décret 2010-1250 imposent des mesures de sécurité, seulement 35 % des entreprises dans le secteur respectent effectivement les obligations en matière de protection individuelle, faute de moyens ou de suivi. environ 40 % des petites entreprises ne souscrivent pas à cette couverture, laissant ainsi de nombreux travailleurs sans indemnisation adéquate. Lorsqu’un Maître d’oeuvre est en charge, eh ben, ya pas moyen : il faut une assurance.

Sur notre chantier de Moramanga, l’intégration du QAQC a été une étape essentielle, presque un rite de passage pour toute l’équipe. Il a fallu s’adapter, revoir nos processus et monter en compétences pour se hisser au niveau des exigences. Bien sûr, cela demandait rigueur et persévérance, mais le résultat a été plus que satisfaisant : un projet mené de bout en bout sans accident, s’était vanté le Maître d’ouvrage. Ce fut une expérience extraordinaire, où chaque membre de l’équipe a pu mesurer l’impact d’une démarche de qualité et de sécurité bien appliquée. Voir le chantier évoluer jour après jour, tout en sachant que nous assurions un environnement sûr et conforme, reste un véritable accomplissement.

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