L’histoire des retours n’est pas récente.
Raombana, historien et écrivain malgache du XIXe siècle, formait déjà cette figure du « repat » intellectuel — revenu d’Angleterre, occidentaliste assumé, mais fidèle à la terre et aux ancêtres. Il écrivait l’histoire de Madagascar en anglais, dans une langue étrangère, tout en revendiquant une loyauté absolue à la mémoire malgache. Il ne trahissait pas, il transmettait autrement.

Bien avant lui encore, des princes malgaches étaient envoyés « au-delà des mers » par des missionnaires et émissaires européens pour y recevoir une éducation censée les « destiner à de hautes fonctions ». L’histoire en a gardé peu de traces, mais ces départs, et parfois ces retours, ont toujours existé.

Gwyn Campbell, historien spécialiste de l’océan Indien, a documenté dans The Madagascar Youths l’histoire méconnue de jeunes Malgaches envoyés en Angleterre au XIXe siècle pour y être formés par les Britanniques. Ces trajectoires illustrent une circulation ancienne de savoirs, de loyautés et de tensions entre formation extérieure et ancrage local.

Aujourd’hui, nous voyons de nouvelles générations revenir, après des parcours aussi multiples que discrets. Portant des savoirs, des projets, des hésitations aussi.

Des appels au recrutement de travailleurs saisonniers se multiplient, notamment au Québec, où des entreprises viennent régulièrement à Antananarivo pour embaucher des profils qualifiés dans l’industrie, la mécanique ou la santé.

Ces départs, souvent présentés comme des opportunités, posent aussi la question du retour, de l’ancrage, et de la reconnaissance des compétences acquises à l’étranger.

Parmi ces trajectoires, certaines sont marquées par des retours contraints, vécus dans la douleur. Des personnes sans papiers, expulsées ou revenues volontairement, font face à une double peine : l’échec perçu de leur projet migratoire et la stigmatisation sociale à leur retour. Le sentiment de honte, l’absence de perspectives et le manque de soutien institutionnel rendent leur réintégration particulièrement difficile.

D’autres, bien que diplômés et expérimentés, se heurtent à la non-reconnaissance de leurs qualifications. Les procédures d’équivalence sont souvent complexes, coûteuses et peu accessibles, laissant ces individus dans une situation de sous-emploi ou de déclassement professionnel.

Pourtant, il n’existe presque aucune lecture organisée de ces retours. Pas de cartographie, pas de reconnaissance systématique, peu de mise en réseau. Et beaucoup de récits restent en marge : trop atypiques, trop modestes, trop en chantier.

Cette démarche pourrait, si le fond est juste, être relayée ou prolongée plus tard. Il s’agit d’abord de prendre la mesure de ce qui circule déjà, entre pays, générations, pratiques et aspirations.

Je vais tenter dans ce post, long et à mise à jour continue, de collecter si des initiatives similaires existent, si des lectures ont déjà été produites, ou si des idées dorment quelque part. Il ne s’agit pas de doubler ce qui est fait, mais de mieux voir ce qui se fait — et peut-être d’en faire émerger la trame commune.

Bibliographie :

Un intellectuel malgache devant la culture européenne : l’historien Raombana (1809-1854)  Simon Ayache

https://www.persee.fr/doc/arch_0044-8613_1976_num_12_1_1298

The Madagascar Youths by Campbell Gwyn

Princes https://purplecorner.com/princes/

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mianavaratse
aller vers le nord

Les migrations intérieures à Madagascar sont un phénomène majeur, touchant environ 13 % de la population, soit plus de 3,4 millions de personnes vivant en dehors de leur district de naissance (2424.mg). Ces déplacements sont motivés par une combinaison de contraintes structurelles et de stratégies familiales : accès à l’emploi, à l’éducation, à la santé, mais aussi recherche de sécurité alimentaire ou rituelle. Ces flux dessinent une cartographie mouvante du territoire, faite de circulations saisonnières, de déplacements vers les fronts pionniers (litchis, saphirs, crevettes) ou de reconfigurations urbaines.

Dans cette dynamique, les Antandroy — peuple pasteur du sud aride — occupent une place singulière. Leur région d’origine, l’Androy, connaît une pluviométrie annuelle inférieure à 400 mm, et les famines cycliques appelées Kere y provoquent des déplacements massifs. Dès les années 1920, les hommes Antandroy ont migré vers les villes et les zones agricoles, d’abord temporairement, puis de manière semi-durable. Aujourd’hui, environ 150 000 Antandroy vivent en dehors de leur région d’origine (Joshua Project), souvent regroupés en communautés dans les villes comme Toliara, tout en maintenant des liens étroits avec le tanindrazana. Les termes mianavaratse (aller vers le nord) ou l’expression « l’année de l’éparpillement » (1991) témoignent d’une culture de la mobilité intégrée à leur structure sociale. Ces migrations reconfigurent les rituels ancestraux, les formes de transmission, les cycles d’alliance, et imposent une adaptation constante aux nouveaux milieux sans rompre les logiques de filiation.

À Nosy Be, l’histoire coloniale a aussi façonné des mobilités spécifiques. Samuel Sanchez et Faranirina Rajaonah montrent comment les plantations coloniales de l’île, entre 1840 et 1960, ont eu recours à des formes de travail engagé issues des régions du Sud, notamment l’Androy. Ces migrations, initialement contraintes, répondaient également à des stratégies : acquérir un zébu, échapper à la capitation, ou accumuler une forme de capital social. Le salariat colonial a ainsi été vécu simultanément comme domination et comme ressource. Le retour au pays s’effectuait parfois avec un statut amélioré, mais aussi une expérience ambivalente de la mobilité, entre souffrance et ascension.

Catherine Fournet-Guérin, dans son article Madagascar, île immobile ?, démonte l’image d’un pays figé. Elle décrit une île parcourue par des circulations multiples : émigration d’élites vers le Nord, ruées internes vers les sites miniers ou agricoles, mobilités saisonnières entre villes et campagnes. Ces mobilités, bien que peu spectaculaires à l’échelle statistique, sont au cœur des logiques sociales, économiques et identitaires malgaches. Elles traduisent une reconfiguration profonde des territoires, marquée à la fois par la contrainte (crises, pauvreté, enclavement) et par une inventivité migratoire constante. Dans un pays où la sédentarité est une norme valorisée, la mobilité devient paradoxalement l’un des rares vecteurs de projection vers l’avenir.

Ainsi, les migrations intérieures à Madagascar — qu’elles soient contraintes ou choisies — traduisent bien plus que des déplacements géographiques. Elles interrogent les formes de citoyenneté, les transmissions symboliques et les possibilités concrètes d’ancrage dans un pays où l’identité se construit autant en chemin qu’en retour.

Au fil de cette exploration des mobilités malgaches, une figure revient avec insistance, souvent en marge des récits officiels : celle des femmes engagées dans le travail domestique, tant à l’intérieur du pays qu’à l’étranger. Leur trajectoire illustre avec acuité les tensions entre mobilité contrainte et stratégie d’émancipation.

À Madagascar, de nombreuses jeunes femmes quittent les zones rurales pour les centres urbains, espérant y trouver un emploi domestique. Ces migrations internes, bien que moins visibles que les départs internationaux, sont marquées par des conditions de travail précaires et une absence de reconnaissance sociale. À l’international, malgré l’interdiction en 2013 de la migration liée au travail domestique par l’État malgache, des femmes continuent d’être recrutées, souvent par des agences informelles, pour travailler dans des pays du Moyen-Orient et d’Asie, où elles sont exposées à des risques d’exploitation et de traite des êtres humains .

Ces femmes, souvent perçues comme des figures silencieuses de la migration, sont pourtant au cœur des dynamiques économiques et sociales. Leurs envois de fonds soutiennent des familles entières, et leur expérience à l’étranger transforme les perceptions locales du travail et du genre. Cependant, à leur retour, elles font face à des défis majeurs : stigmatisation, non-reconnaissance des compétences acquises, et difficultés de réintégration.

Ainsi, en mettant en lumière les parcours des femmes domestiques, nous comprenons que la mobilité à Madagascar ne peut être pleinement appréhendée sans considérer les dimensions de genre. Ces trajectoires, bien que souvent invisibilisées, sont centrales pour saisir les réalités contemporaines des mobilités malgaches.

références bibliographiques :

* Fournet-Guérin, Catherine. « Madagascar, île immobile ? Paradoxes, contraintes et essor des mobilités dans un pays du Sud », Espaces, populations, sociétés, no 2-3, 2010, pp. 237-249. Disponible en ligne : https://journals.openedition.org/eps/4131(lettres.sorbonne-universite.fr, OpenEdition Journals)
* Rajaonah, Faranirina V. & Sanchez, Samuel F. « De l’engagisme au salariat dans le Sud-Ouest de l’océan Indien. La colonie de plantation de Nosy Be, Madagascar (1840-1960) », in Guerassimoff, É. & Mande, I. (dir.), Le travail colonial. Engagés et autres travailleurs migrants dans les empires 1850-1950, Paris, Riveneuve, 2016, pp. 245-282. Disponible en ligne : https://www.researchgate.net/publication/317303810_De_l’engagisme_au_salariat_dans_le_Sud-Ouest_de_l’ocean_Indien_La_colonie_de_plantation_de_Nosy_Be_Madagascar_1840-1960(ResearchGate)
* Organisation internationale pour les migrations (OIM) : L’OIM fournit des informations détaillées sur la migration de main-d’œuvre à Madagascar, y compris sur les travailleuses domestiques malgaches employées au Liban, au Koweït et en Arabie saoudite. (IOM)
* Organisation internationale du travail (OIT) : L’OIT a publié des rapports sur le recrutement équitable à Madagascar, mettant en lumière les défis rencontrés par les travailleuses domestiques malgaches. (International Labour Organization)
* Radio France Internationale (RFI) : RFI a couvert des forums et des discussions sur la migration et le travail domestique à Madagascar, soulignant les préoccupations liées à l’exploitation des travailleuses domestiques à l’étranger. (RFI)
* Politique africaine : Cette revue a publié un article intitulé « Sauver les domestiques malgaches à l’étranger », explorant les dynamiques de migration des travailleuses domestiques malgaches et les efforts pour améliorer leur situation. (shs.cairn.info)
* Législation nationale malgache : La loi n°2018-035 autorise la ratification de la Convention n°189 de l’OIT concernant le travail décent pour les travailleuses et travailleurs domestiques, renforçant ainsi la protection juridique de ces travailleurs à Madagascar. (assemblee-nationale.mg)
* ReliefWeb : ReliefWeb a publié un rapport sur l’état des lieux de la traite des personnes à Madagascar, mettant en évidence les risques auxquels sont confrontées les travailleuses domestiques malgaches, notamment en ce qui concerne la traite des êtres humains. (ReliefWeb)
* Normlex (OIT) : La base de données Normlex de l’OIT fournit des informations sur la ratification par Madagascar de la Convention n°189 et sur les commentaires relatifs à sa mise en œuvre. (normlex.ilo.org)

photo : bloquée au centre-ville de Manjakandriana là où je travaillais personne ne venait du coin

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se former ailleurs pour revenir ? mobilités étudiantes et souveraineté universitaire dans le Sud

Au début du XXe siècle, les grandes puissances ont amorcé des programmes de bourses d’études visant à former des élites dans les pays du Sud. Le Boxer Indemnity Scholarship Program, lancé en 1909 par les États-Unis, est emblématique : il a permis à plus de 1 300 étudiants chinois de poursuivre leurs études aux États-Unis tout en finançant la création du Tsinghua College à Pékin, devenu l’actuelle Université Tsinghua. Ce programme visait la formation d’une élite modernisatrice pour la Chine. Parmi ses anciens boursiers figurent des figures majeures comme Hu Shih, Qian Xuesen (père de la conquête spatiale chinoise), ou encore Yang Chen-Ning, physicien théoricien et lauréat du prix Nobel de physique en 1957.

Aujourd’hui, de nombreux programmes de bourses intègrent une clause de retour obligatoire, qui oblige les étudiants à revenir travailler dans leur pays d’origine. C’est le cas des bourses du gouvernement canadien (via Affaires mondiales Canada), du programme Chevening (Royaume-Uni), ou encore des bourses d’exemption de droits universitaires au Québec pour les étudiants malgaches. D’autres programmes comme le Commonwealth Scholarship and Fellowship Plan (1959) ou le programme Fulbright encouragent sans l’imposer un retour dans le pays d’origine. Le programme LPDP d’Indonésie, bien que contraignant, montre les limites de l’application : entre 2013 et 2022, 413 des 35 536 boursiers ne sont pas retournés.

La logique de ces clauses est double : limiter la fuite des cerveaux et rentabiliser les investissements publics dans la formation. Cependant, elles posent aussi la question de la qualité de la réinsertion professionnelle, du manque d’opportunités, ou de l’absence de politiques d’accompagnement.

Face à ces enjeux, une stratégie complémentaire consiste à créer ou renforcer les universités locales, pour former sur place. C’était le pari du Boxer Program avec Tsinghua, mais aussi des États sud-américains après leurs indépendances, qui ont fondé des institutions comme l’École polytechnique de Lima, l’Université de Buenos Aires ou l’Université de Trujillo. En Afrique, l’Université de Makerere, fondée en 1922 à Kampala, a été un modèle de rayonnement régional et de formation d’élites politiques et intellectuelles. Affiliée à l’Université de Londres dans les années 1940, puis intégrée à l’Université de l’Afrique de l’Est en 1963 avant de devenir une université nationale indépendante en 1970, Makerere a formé plusieurs figures majeures du continent, dont Julius Nyerere, Milton Obote, Mwai Kibaki ou encore des penseurs comme Ali Mazrui et Ngũgĩ wa Thiong’o. Elle a également servi de creuset pour la vie littéraire et intellectuelle panafricaine.

https://www.rfi.fr/fr/podcasts/afrique-m%C3%A9moires-d-un-continent/20250110-universit%C3%A9-de-makerere-miroir-de-l-histoire-ougandaise

À Madagascar, l’Université d’Antananarivo (ex-Université de Madagascar) a été créée en 1961 à partir de structures coloniales existantes. Cette création résulte de la fusion de plusieurs établissements d’enseignement supérieur existants, tels que l’École supérieure de droit fondée en 1941 et l’École de médecine et de pharmacie établie en 1896. Cette consolidation visait à centraliser l’enseignement supérieur dans le pays et à répondre aux besoins croissants en formation de cadres nationaux après l’indépendance de Madagascar en 1960. L’université a été placée sous la tutelle de la Fondation nationale de l’enseignement supérieur et dirigée initialement par des recteurs français, tels que Michel Alliot (1959-1961) et Michel Henry Fabre (1961-1964). Ce n’est qu’en 1972 que le premier recteur malgache, le professeur Thomas Rahandraha, a pris ses fonctions, marquant une étape vers la malgachisation de l’institution.

Mais, contrairement à Makerere, elle n’a pas connu un développement autonome fort. En cause : la forte dépendance au modèle français, un sous-financement chronique, et une instabilité récurrente (grèves, retards de bourses, déficits d’infrastructure). Des efforts de modernisation sont engagés (partenariats avec l’ARES, digitalisation, projets ODD).

Pour déconcentrer l’offre, six centres universitaires régionaux ont été créés dès 1977 (Toamasina, Toliara, Mahajanga, Antsiranana, Fianarantsoa et Antananarivo), puis autonomisés dans les années 1980. Ils ont permis une meilleure couverture territoriale mais restent confrontés à des disparités de moyens.

En 2020, le budget national malgache de l’enseignement supérieur s’élevait à 263 milliards d’ariary (≈ 54,8 millions d’euros), dont 114 milliards (≈ 23,8 millions d’euros) consacrés au fonctionnement. À titre comparatif, le Sénégal a alloué 308,5 milliards de FCFA (≈ 470 millions d’euros) en 2025, et la Côte d’Ivoire 328,5 milliards de FCFA (≈ 500,5 millions d’euros). Ces chiffres traduisent des écarts de capacités budgétaires mais aussi de volonté politique.

Former localement, accompagner les retours, et repenser la place des universités dans les projets de souveraineté éducative reste un enjeu pour tout pays du Sud.

Madagascar a-t-il réellement saisi les enjeux de la fuite des cerveaux ?

L’exemple malgache montre une prise en compte partielle mais encore fragmentaire des logiques de fuite des cerveaux. Si l’intégration de clauses de retour dans certaines bourses (notamment au Québec) témoigne d’une volonté d’encadrer les mobilités, ces mesures ne sont pas systématiquement accompagnées de conditions favorables à la réintégration. Peu de politiques ciblent la valorisation des compétences acquises à l’étranger ou le fléchage des diplômés vers des secteurs stratégiques.

De plus, l’insuffisance des financements, la faible reconnaissance des diplômes étrangers, l’absence de dispositifs d’accompagnement au retour, et la précarité institutionnelle limitent l’effet structurant des retours. Dans ce contexte, les trajectoires individuelles restent largement informelles et relèvent de stratégies personnelles de compromis ou d’engagement militant.

Si Madagascar veut véritablement faire du retour des compétences un levier de développement, il lui faudra passer de la régulation à l’anticipation, en articulant politiques éducatives, offres d’emploi qualifié, et reconnaissance de l’expérience internationale dans une vision cohérente du développement humain.

Bibliographie 

Boxer Indemnity Scholarship Program, Wikipedia : https://en.wikipedia.org/wiki/Boxer_Indemnity_Scholarship

Yang Chen-Ning, NobelPrize.org : https://www.nobelprize.org/prizes/physics/1957/yang/facts/

Tsinghua University history : https://www.tsinghua.edu.cn/en/About.htm

Commonwealth Scholarships UK : https://cscuk.fcdo.gov.uk

LPDP Indonesia : https://lpdp.kemenkeu.go.id

Chevening Scholarships : https://www.chevening.org

Global Affairs Canada (AMC) : https://www.international.gc.ca

Campus France Madagascar : https://www.madagascar.campusfrance.org

Université de Makerere : https://www.mak.ac.ug

Université d’Antananarivo, histoire et contexte : https://fr.wikipedia.org/wiki/Universit%C3%A9_d%27Antananarivo

Loi de finances 2020, Madagascar : sources locales

Ministère de l’Enseignement Supérieur Madagascar : https://www.mesupres.gov.mg

Ministère de l’Enseignement Supérieur Sénégal : https://mesrisenegal.sn

Ministère de l’Enseignement Supérieur Côte d’Ivoire : https://enseignement.gouv.ci

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Corriger l’asymétrie des opportunités en entreprenant des mesures d’accompagnement

Le retour des membres de la diaspora vers leur pays d’origine suscite un intérêt croissant dans les politiques de développement des États africains. L’appel au retour repose souvent sur la volonté de mobiliser des compétences techniques et des expériences acquises à l’international, au service des dynamiques nationales. Toutefois, au-delà des considérations patriotiques ou éthiques, une question structurelle demeure insuffisamment traitée : quelles sont les conditions de rémunération proposées aux professionnels de la diaspora qui choisissent de revenir ?

Cet article propose une analyse comparative des dispositifs, réalités salariales, barrières institutionnelles et dynamiques sociales qui affectent les professionnels issus de la diaspora africaine, en prenant Madagascar comme étude de cas centrale.

Les profils de repatriés sont variés : diplômés récents, cadres expérimentés, entrepreneurs ou chercheurs. Leur retour est généralement motivé par une combinaison de facteurs, comme les opportunités économiques, l’attachement culturel, l’instabilité dans le pays d’accueil, ou encore la volonté de contribuer au développement national.

Cependant, plusieurs études, notamment celle de la Banque mondiale (2022), identifient trois freins majeurs au retour durable des talents formés à l’étranger : des conditions de travail peu attractives, une rémunération inférieure aux standards internationaux et une faible reconnaissance institutionnelle des compétences acquises.

L’analyse des écarts de rémunération entre les pays d’accueil et les pays d’origine met en évidence un décalage important. Même en tenant compte du différentiel de coût de la vie, les grilles salariales locales s’avèrent largement inférieures aux attentes des repats.

Au Sénégal, le Programme d’Appui aux Initiatives de Solidarité pour le Développement (PAISD) encadre certains retours via des dispositifs de transfert de compétences. Toutefois, la rémunération d’un ingénieur ou d’un expert reste limitée à 800–1 200 € brut mensuel, soit souvent le tiers ou le quart de leur rémunération antérieure à l’étranger. Le Rwanda se distingue par une politique plus structurée : certaines institutions recrutent des repats via des contrats de performance ou des projets financés par des bailleurs internationaux, permettant une rémunération compétitive mais indexée aux résultats. En Côte d’Ivoire, le secteur privé (banques, télécoms, numérique) offre parfois des salaires compétitifs, mais les secteurs sociaux ou techniques proposent souvent des contrats inférieurs à 1 000 € net mensuel. À Madagascar, dans la fonction publique, les grilles salariales plafonnent à 300–500 € mensuels pour des postes de cadre, sans dispositifs spécifiques de valorisation des diplômes étrangers. Le secteur privé est hétérogène, la négociation individuelle prédomine.

Face à ces limitations, de nombreux repats développent des stratégies hybrides. Ils créent des structures indépendantes comme des cabinets ou ONG, mobilisent des financements internationaux pour facturer leurs prestations à un niveau soutenable, ou adoptent un statut de consultant itinérant combinant présence locale et missions à distance. Ces modèles assurent une relative autonomie économique, mais s’accompagnent souvent de précarité juridique, d’absence de couverture sociale et d’instabilité des revenus.

Malgré une offre éducative robuste dans la capitale et en région (INSCAE, ISCAM, ESPA, IEP, MISA, ENI), un plafond professionnel persiste pour les talents locaux. Les postes de direction dans les grandes entreprises ou institutions internationales sont fréquemment occupés par des expatriés ou des Malgaches formés à l’étranger. Cela résulte de la préférence pour les diplômes étrangers, de la faiblesse des réseaux professionnels locaux et d’une reconnaissance institutionnelle insuffisante des compétences locales.

Les expatriés bénéficient souvent de packages incluant logement, scolarité, allocations, tandis que les travailleurs locaux font face à une faible productivité (PIB par travailleur trois fois inférieur à la moyenne régionale) et à de grandes disparités salariales entre entreprises.

Plusieurs pays ont adopté des dispositifs structurés. La Chine, avec son “Thousand Talents Plan”, propose des incitations financières, des postes académiques et du logement. L’Inde a mis en place des programmes de réintégration dans l’enseignement et la recherche. Le Nigeria et le Ghana soutiennent le retour volontaire, l’entrepreneuriat et le contenu local obligatoire (Loi LI2204). L’Afrique du Sud déploie le Broad-Based Black Economic Empowerment (B-BBEE) pour corriger les inégalités raciales historiques. L’Union européenne a initié le “Mécanisme de valorisation des talents” pour les régions en déclin démographique.

Avec une population estimée entre 100 000 et 140 000 personnes, la diaspora malgache en France est la plus importante d’Afrique subsaharienne. Son histoire migratoire se divise en trois phases : 1880–1970 avec les soldats coloniaux et les étudiants issus des élites ; 1975–1990 marquée par l’exil politique et la fuite des cerveaux ; et depuis 1990 avec une diversification sociale et académique.

La diaspora fait face à des défis d’intégration comme les statuts irréguliers et la discrimination à l’emploi, malgré un fort potentiel entrepreneurial. En parallèle, les immigrés malgaches sont sous-représentés dans les sphères de décision économique en France, bien qu’ils soient surreprésentés dans les secteurs précaires.

Des programmes de bourses avec clause de retour obligatoire ont été mis en place. Le Canada (Affaires mondiales Canada), Chevening (Royaume-Uni) et le Québec exigent un retour après les études. D’autres comme le Commonwealth et Fulbright encouragent le retour sans l’imposer. En Indonésie, le programme LPDP prévoit un retour contractuel, bien que son application reste imparfaite.

Historiquement, le Boxer Indemnity Scholarship Program a permis la formation d’une élite chinoise aux États-Unis, tout en créant l’Université Tsinghua. Des modèles similaires ont émergé en Amérique latine (Buenos Aires, Trujillo) et en Afrique avec Makerere en Ouganda. À Madagascar, l’Université d’Antananarivo, issue de structures coloniales, souffre de sous-financement et d’une forte dépendance au modèle français. Les Centres Universitaires Régionaux (CUR) ont permis une décentralisation, mais restent confrontés à de fortes disparités. En 2020, Madagascar allouait 263 milliards d’ariary à l’enseignement supérieur, contre 500 millions d’euros en Côte d’Ivoire en 2025.

Il est nécessaire de mettre en place des politiques de réintégration des repats incluant la reconnaissance des diplômes, des incitations salariales et un accompagnement professionnel. L’asymétrie entre résidents locaux et expatriés doit être réduite via une meilleure équité salariale et un accès élargi aux responsabilités. L’enseignement supérieur local doit être renforcé, tant sur le plan du financement que de la valorisation de la recherche et de la décolonisation académique. Les mobilités internes et internationales doivent être accompagnées avec une perspective de genre et de justice sociale. Enfin, une articulation cohérente entre politique migratoire, politiques éducatives et stratégie de développement humain s’impose.

L’avenir du retour des compétences à Madagascar repose sur une synergie entre politiques d’éducation, réformes structurelles du marché du travail, valorisation du capital humain et inclusion socioéconomique. Sans cela, les trajectoires resteront fragmentaires, et le potentiel de la diaspora comme des talents locaux restera sous-exploité.

Bibliographie

  • African Union (2018). Diaspora Engagement Policies in Africa. Addis Ababa.
  • Banque mondiale (2022). Indicateurs de développement dans le monde – Madagascar.
  • Bierschenk, T. (2003). La politique du savoir au Sud. Politique africaine, n°92.
  • Commission européenne (2023). Talent Booster Mechanism. Représentation de la CE en Belgique.
  • Cyranoski, D. (2011). “China to recruit top talent from abroad.” Nature News, 472, 13.
  • DTIC – Department of Trade, Industry and Competition (2021). B-BBEE Annual Report.
  • Ghana Petroleum Commission (2013). Petroleum Local Content and Local Participation Regulations (LI2204).
  • IRD (2020). Rapport d’activités de l’Institut de Recherche pour le Développement.
  • Kapur, D., & McHale, J. (2005). Give Us Your Best and Brightest. Center for Global Development.
  • Scribd (2022). Présentation de l’École Nationale d’Informatique (ENI).
  • World Bank (2019). Productivity in Madagascar: Building Competitiveness for Inclusive Growth.

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