Ambohimandroso, By-Pass et bientôt Laniera, je vous le dis : en 2024, plus rien ne me choque. L’abus de parpaings, de murs-rideaux et de coloris criards crée des intérieurs si inconfortables que ces espaces sont désormais juste dédiés aux pièces détachées, voisinant avec des tables et des chaises à louer. Je ne comprendrai jamais l’intérêt d’avoir autorisé tous ces remblaiements pour aboutir à une version très ersatzienne du syncrétisme architectural malgache. Nous avions déjà nos dérives dans les pastiches de trano gasy dans les zones marécageuses et les boîtes à quincailleries sur les crêtes de nos montagnes. Mais avec ce style qui semble perdurer et qui fait des émules, moi je vous dis : ça y est, tafa tsika.
Pour enrichir cette réflexion, laissez-moi partager avec vous une perspective plus large, renforcée par l’intelligence artificielle, en vous plongeant dans la Théorie de l’Architecture globale. La lecture de Learning from Las Vegas est essentielle pour quiconque souhaite comprendre le populisme en architecture, tel que perçu par le couple Denise Scott Brown et Robert Venturi, avec l’historien Steven Izenour. Dans cet ouvrage, les auteurs examinent comment la culture populaire influence le paysage architectural. Ils soutiennent que les constructions de Las Vegas, souvent dévaluées en tant que “facadisme”, offrent des leçons importantes sur la manière dont l’architecture peut être perçue et vécue par le grand public.
“Learning from Las Vegas” remet en question les hiérarchies traditionnelles en architecture, affirmant que les constructions qui ne répondent pas aux normes académiques peuvent avoir une valeur culturelle et sociale significative. Venturi et Scott Brown soutiennent que l’esthétique ne doit pas primer sur la fonctionnalité. Nous allons obsever les syncrétismes architecturaux dans les pays du Sud, comme les bâtiments multi-usages à El Alto en Bolivie, où le commercial et le résidentiel coexistent, illustrent comment l’architecture répond aux besoins pratiques tout en restant visuellement attrayante. Cette approche pragmatique est essentielle pour des communautés en évolution rapide.
Cette perspective s’applique également à l’architecture Aymara contemporaine (culture indigène bolivienne), illustrée par des structures emblématiques comme le Cholet https://www.nytimes.com/video/arts/design/100000005557159/mamani-bolivia-psychedelic-dream-homes.html, qui incarne une fusion unique de traditions ancestrales et d’innovations modernes. Bien que le Cholet reflète l’identité culturelle aymara à travers son esthétique distinctive, il ne répond pas toujours aux exigences environnementales contemporaines. Freddy Mamani Silvestre, architecte autodidacte et pionnier de ce mouvement, a redéfini le paysage architectural de Bolivie, particulièrement à El Alto. Ses bâtiments, souvent composés d’un espace commercial au rez-de-chaussée, d’une salle de bal au-dessus, de plusieurs étages d’appartements et d’une maison pour le propriétaire sur le toit, se distinguent par des façades et des intérieurs aux palettes de couleurs vives. Mamani a déjà réalisé plus de 100 bâtiments à El Alto, une ville qui s’étend à 4 000 mètres d’altitude, et a attiré l’attention internationale pour sa vision audacieuse qui rappelle Las Vegas, mais enracinée dans les racines précolombiennes.
Mamani s’inspire de la culture Aymara, intégrant des motifs géométriques et des symboles anciens, tels que le chakana (croix andine) et les aguayos, des textiles colorés tissés par les Aymaras. Son style, bien qu’initialement considéré comme une simple décoration, a gagné en légitimité et en reconnaissance, notamment grâce à sa participation à des expositions internationales comme celle à la Fondation Cartier à Paris. Les constructions de Mamani sont devenues des lieux de festivités, adaptées aux célébrations et aux événements culturels d’El Alto. Ses “salones de eventos” sont de véritables fantasies architecturales, ornées de colonnes rayées, de lustres imposants et de jeux de lumières LED, créant des ambiances qui évoquent un casino de Macao, mais avec une touche artisanale. Chaque bâtiment est unique, souvent orné de symboles ancestraux, tels que des formes d’animaux stylisées inspirées de la faune locale.
Iny eo ihany fa je relis cet excellent article d’Ikem Stanley Okoye qui redéfinit les origines du modernisme africain : https://www.cca.qc.ca/fr/articles/77238/ou-ny-avait-il-pas-de-modernisme. Et je cite : « (…) alors qu’un jour viendrait où ces mécènes finiraient par se fier aussi bien aux bâtisseurs locaux qu’à ceux arrivant par bateau, les récits du modernisme africain continuent de faire peu de cas des tentatives de réalisation de ce modernisme par les Africains eux-mêmes, quand elles sont mentionnées. Pour dire les choses plus crûment, l’histoire de l’architecture moderne en Afrique a été complice de l’effacement délibéré des futurs conçus par les Africains. »
Dans son analyse, Ikem Stanley Okoye redéfinit les origines du modernisme africain, soutenant que les Africains avaient déjà une vision architecturale avant la colonisation. Des exemples historiques, comme le journal d’Antera Duke, montrent que dès le XVIIIe siècle, des commerçants africains importaient des matériaux de construction, témoignant d’une conscience architecturale. Cependant, l’histoire du modernisme africain a souvent été écrite de manière à ignorer les contributions africaines, les présentant comme des consommateurs passifs plutôt que comme des agents actifs de conception.
Okoye évoque Antera Duke, un riche marchand d’esclaves du XVIIIe siècle, dont le journal témoigne de l’importation de matériaux de construction par des commerçants africains, illustrant une conscience architecturale bien avant la colonisation. Duke a joué un rôle clé dans le développement architectural de sa région, et ses efforts soulignent que les Africains avaient déjà une vision architecturale et des ambitions avant l’arrivée des colonisateurs.
Okoye critique l’idée selon laquelle l’architecture moderne en Afrique aurait émergé d’une “tabula rasa” post-coloniale, arguant que même sous la domination britannique, des architectes africains, comme Michael Nguko, ont conçu des œuvres qui méritent d’être reconnues comme modernes. Ces œuvres, souvent hybrides, intègrent des éléments extérieurs tout en répondant à des besoins locaux. Par exemple, la porte de Nguko, avec son utilisation innovante de la pierre et du béton, représente une modernité unique, bien qu’elle ne corresponde pas aux normes occidentales.
L’analyse souligne que le modernisme africain doit être compris comme un processus hybride, mêlant influences extérieures et expressions locales. Les archives historiques et les récits oraux jouent un rôle crucial dans la reconstruction de cette histoire, mettant en lumière les bâtisseurs itinérants et leur impact sur l’architecture moderne au Nigéria. En fin de compte, Okoye appelle à une réévaluation de la perception du modernisme africain, le considérant non comme une imitation des formes occidentales, mais comme une expression authentique et autonome de l’identité africaine. Cette approche invite à explorer l’architecture africaine à travers le prisme du modernisme plutôt que de la modernité, reconnaissant ainsi son rôle actif dans l’évolution architecturale.
j’ouvre aussi la réflexion sur les petits bijoux partagés par Sir David Adjaye sur le parcours des architectes du Sud global dont les Afro-Brésiliens arrivés d’Amérique du Sud. https://www.instagram.com/p/CtmXhADtt1p/?utm_source=ig_web_copy_link&igsh=MzRlODBiNWFlZA==
Porto-Novo, la capitale du Bénin, faisait autrefois partie du royaume Yoruba et était le centre de la traite coloniale des esclaves au Bénin durant le XIXe siècle, période pendant laquelle près de 40 % de tous les Africains réduits en esclavage étaient envoyés au Brésil. Avant l’abolition officielle de la traite en 1888, certains Afro-Brésiliens furent rapatriés sur le continent à la suite de la révolte Malê dirigée par des Yoruba à Salvador, au Brésil, en 1835, tandis que d’autres travaillaient comme artisans, menuisiers et maçons pour acheter leur liberté. Lorsqu’ils se sont réinstallés en Afrique de l’Ouest, ils ont rapporté des compétences architecturales qui hybridèrent leurs racines yorubas avec les techniques de construction utilisées au Brésil.
Au Bénin, les rapatriés—les nouveaux libres et leurs descendants—étaient appelés « Aguda ». L’un des principaux centres de Porto-Novo est le quartier afro-brésilien, défini par l’architecture Aguda. Ce style est reconnaissable par les appropriations d’éléments coloniaux avec des connaissances ancestrales africaines et des langages architecturaux présents au Brésil, y compris des murs multicolores, des balustrades de balcon sculptées, des volets, des arcs et des treillis. En combinant des connaissances en maçonnerie et en construction en bois, employées de part et d’autre de l’Atlantique avec des matériaux locaux, leurs compétences et sensibilités architecturales distinctes furent des précurseurs de nouvelles typologies dans la région, telles que les bâtiments à deux étages utilisant de l’adobe renforcé de bois. L’exemple le plus notable est la Grande Mosquée, construite en 1935 par des fidèles dont les ancêtres furent influencés par les échanges commerciaux des régions haoussa et yoruba. L’architecture de la mosquée, hybride des églises baroques de Bahia, au Brésil, témoigne de la fluidité des identités culturelles des Aguda—un sous-produit de la traite transatlantique des esclaves.
Porto-Novo en 1888, Antera Duke au XVIIe siècle, Freddy Mamani Silvestre en 2018, les maçons d’Ambohimandroso en 2024 ont tous apporté leur pierre à l’édifice architectural moderniste du Sud global, sans complexes et en assumant totalement leur rôle pour aider à façonner notre société d’aujourd’hui. qu’importe mais vraiment qu’importe le résultat.