ou la recherche de l’Utopie , d’une Terre Promise à Madagascar par un diplomate américain et activiste des droits civiques entre 1891-1895 à la veille de la colonisation française

les fautes d’orthographe, liens des sources et références sont en cours de mise à jour car j’ai retracé toutes ces histoires à partir de cet épique thread d’où le ton très spontané de ce post. c’est un blog après tout.

Quand j’ai entendu parler d’un « Prince de Madagascar » prodige du Jazz et né à Harlem d’une jeune mère noire américaine qui a pu échapper de justesse à l’invasion française en 1895, j’ai franchement senti la romance, la tragédie, le drame et tout ce qui pourrait composer une pièce grecque. Andy Razaf avait paraît-il projeté de relater l’histoire de sa famille à travers le théâtre. J’ai commencé par plonger dans la biographie très documentée en relatant les sources assurées et vérifiées. L’ouvrage Black and Blue : The Life and Lyrics of Andy Razaf de Barry Singer s’est basé sur des photos et des lettres de famille. Le génie de Andy Razaf vient à coup sûr de son milieu familial et de l’éducation de sa mère, Jenny Weller ainsi que sa grand-mère Susan Boyd Bray. En fait, ce qui m’ a le plus intriguée chez cet artiste talentueux c’était son métier en tant que journaliste. Il fut employé comme éditeur au « Negro World », celui-là même de Marcus Garvey.

Marcus Garvey and the Universal Negro Improvement Association, The  Twentieth Century, Divining America: Religion in American History,  TeacherServe, National Humanities Center
Marcus Mosiah Garvey Sr. ONH was a Jamaican political activist, publisher, journalist, entrepreneur, and orator. He was the founder and first President-General of the Universal Negro Improvement Association and African Communities League, through which he declared himself Provisional President of Africa.

Le jeu de mise en abîmes dans cette “histoire dans l’Histoire” nous entraînera vers une toute autre dimension. Elle va intégrer Madagascar, et pas seulement d’une manière évènementielle, dans le contexte de la globalisation des débuts du mouvement des droits civiques. Il y aura aussi un enjeu central, un sujet qui me tient à coeur : la possession de la terre. Jenny a tout juste 11 ans lorsque son père devient le 1er Consul Afro-Américain de Madagascar. John L. Weller débarque à Tamatave en 1891, 10 ans après l’envoi des émissaires du Premier Ministre Rainilairivony à Washington en 1881 pour signer des traités de commerce et permettant à Madagascar. Alors constamment sous la menace d’annexion par la France et malgré les décisions lors de la 1ère guerre Franco-Hova, Rainilaiarivony décide d’officialiser ses relations commerciales à l’International.

Notes du passé: Une ambassade malgache pour demander de l’aide aux États-Unis
C’est au cours de son passage en Angleterre que Ravoninahitriniarivo et ses compagnons décident de remplir « la partie de leur mission qui devait les conduire aux États-Unis ». Le 20 février 1883, ils s’embarquent pour New York où ils n’arrivent que le
23 mars, retardés par une mer houleuse et par la nécessité de fuir de nombreux icebergs qui dérivent du Nord.Reçus au débarcadère par un envoyé du gouverneur de la cité, les ambassadeurs malgaches sont conduits « dans un imposant hôtel de la 5e Avenue ». Le 6 mars, ils sont à Washington, attendus à l’Hôtel Arlington par le colonel Hoffman. Le lendemain, le président M.-A. Arthur, chef de l’État américain depuis l’assassinat du président Garfield, le 2 juillet 1881, les reçoit.

https://agir-avec-madagascar.over-blog.com/2016/03/notes-du-passe-une-ambassade-malgache-pour-demander-de-l-aide-aux-etats-unis.html
THE FRENCH IN MADAGASCAR, PLAN OF TAMATAVE, SHOWING THE AMOUNT OF PROPERTY OWNED BY DIFFERENT NATIONS, 1883

Pour plus de contexte, nous insérons ici l’épisode de la Charte Lambert où le jeune Prince Rakoto, devenu Radama II héritier de sa mère Ranavolona Ière, engage l’exploitation de tout le territoire malgache à un aventurier français J. Lambert avec sa Compagnie de Madagascar. Il s’agit de l’opération diplomatique qui aura causé, parmi tant d’autres frasques, un régicide.

Les privilèges spéciaux accordés à Joseph Lambert et ses partenaires dans le cadre de la Charte Lambert — y compris la mise en œuvre de projets de travaux publics (abattage d’arbres, construction de routes et des canaux, etc.), le contrôle de la frappe de la monnaie, les droits miniers exclusifs et plus encore dans le cadre de la Compagnie de Madagascar — ont été particulièrement controversée. Les préoccupations des citoyens découlent des clauses de l’accord qui aurait permis à la compagnie de Lambert de devenir propriétaires permanente des terres malgaches. Jusqu’à ce jour, des terres malgaches, perçu par la population comme la terre sacrée des ancêtres, ne pouvaient jamais être possédés par des étrangers jusqu’à leur mort, à quel point les terres reviendraient à la couronne. La menace de perdre définitivement une partie du sol sacré malgache aux étrangers a été source de troubles qui ont abouti à une révolution de palais.

– https://wikimonde.com/article/Joseph_Lambert_%28aventurier%29

La cour du Royaume Hova prendra les 3 prochaines décennies à repousser les prétentions françaises déjà bien motivées par leur protectorat sur Nosy-Be demandé par la Princesse Tsiomeko en 1841 et surtout très tôt par la Reine Betia en 1750 à Sainte-Marie. Ces 2 îles ayant aussi pour particularité de précéder la Grande Terre dans l’abolition de l’esclavage et à l’ouverture aux étrangers en autorisant même les grandes exploitations et les échanges notamment avec les Mascareignes. Comme dans le cas de Juliette Fiche, veuve de Napoléon de Lastelle proche de Jean Laborde et anobli par Ranavaloa Ière, qui dominait Tamatave commercialement jusqu’en 1881.

Tsiomeko (1828–1843) was the last queen and monarch of the Boina Kingdom in 1836-1839.[1]
Tsiomeko was the daughter of Taratra and a grand-niece of King Andriantsoly, who was driven out of Boina by the Merina armies and whom her father had served as a “souer”. She became queen in 1836, at age eight, succeeding Queen Oantitsy, the sister of King Andriantsoly. In 1839 she was driven out of her residence by Hova and fled to Nosy Komba. There, she asked for French protection and Admiral de Hell signed a deal with the queen to make Boina a French protectorate.
Tsiomeko ceased to be Queen when her Kingdom was annexed to the Merina Kingdom in 1840. She died in 1843 https://en.wikipedia.org/wiki/Tsiomeko_of_Boina

Tamatave, alors comptoir gouverné par les Hova, laissait les négociants évoluer pour le peu qu’ils payaient leurs taxes au grand gouverneur Rainandriamampiandry. Nous découvrons alors que le commerce avec les États-Unis composait 30% du commerce extérieur de Madagascar car les 2 nations échangeaient d’un côté du coton (ironiquement jadis produit par une main d’œuvre asservie par l’esclavagisme et dont par le passé une grande partie de la population venait de Madagascar) et de l’autre du caoutchouc et des peaux. On rappellera aussi que les États-Unis furent parmi les destinations des premiers esclavagistes de l’État de la Virginie. Cela qui ramène à plusieurs siècles les contacts avec les 2 pays bien avant toute relation officielle avec la France. Et c’est ici que nous reprenons sur le parcours de Sieur John L. Waller. En tant que Consul, et comme la plupart de ses collègues et son précédent étaient négociants, il devait veiller précisément à la préservation de ces intérêts économiques.

En lisant les articles du correspondant journaliste anglais, Edward Frederick Knight, on découvre que l’île était un peu partout truffée d’exploitants, aventuriers, négociants et missionnaires étrangers. C’est d’ailleurs à Fort-Dauphin qu’en 1894, la Reine cède sous les conditions d’un Bail emphytéotique un terrain de 10 0000 ha de terres arables à John L.Weller . Nous apprenons qu’il s’agit de la 3è concession de cette ampleur négociée avec le Royaume Hova et on rappelle ici que le port de Fort Dauphin de la région d’Anosy fut à l’époque « gardé » par un gouverneur Merina. Comme Tamatave par principe, ce dernier y représente le gouvernement mais lorsqu’il y avait débarqué Edward Frederick Knight constate un pouvoir plutôt symbolique. L’ouvrage de Randall Bennet Woods, A Black Odyssey : John Lewis Waller and the Promise of American Life sorti en 2021 y relate la totalité de ce qu’on connaît de cette ambition.

Ce projet de colonie a été très bien traité du point de vue des chercheurs nord-américains qui ont mis avant le profil activiste du parti politique Républicain de Waller. Son épouse, Susan Boyd Bray, a été d’ailleurs son appui le plus solide grâce à ses qualités académique et son combat de suffragette. La Reconstruction, période post Guerre de Sécession, voit le couple Weller s’élever aux rangs des élites Afro-Americains du Kansas. Ancien esclave et spécialisé en droit, il lance logiquement un journal et plusieurs petites entreprises pour sa communauté. Il a été inspiré par un projet de de nouvelles communauté de noirs dans l’Oklahoma. L’initiative du « Wallerland » n’est donc pas arrivé sans un background et un dossier solide. Ses prises de contact avec les Mascareignes en y envoyant son beau-fils, Paul Bryan pour démarcher des partenaires font partie du processus de mise en projet. Cette démarche a été très mal perçue alors que l’île Maurice a un passé esclavagiste plus récent que pour les États-Unis.

Pour nous les malgaches, la curiosité nous mène à questionner les relations et l’importance de Waller pour la famille royale sise à Antananarivo. Pour rappel, Tamatave est localisée à ce moment à plusieurs jours de voyage de la capitale, Antananarivo et Fort-Dauphin de plusieurs semaines. Mais Susan Waller et ses enfants se sont bien rapprochés du Lapa jusqu’à même demander l’asile au Premier Ministre lorsque son époux est remplacé en 1895 par un nouveau consul ancien esclavagiste, Wetter. Ce dernier se déclare tout de go très amical avec les ambitions françaises d’annexer Madagascar. Les choses se passant très mal pour Waller par la suite. Jusqu’à sa condamnation par la loi martiale pour espionnage et une mise aux fers (comme un esclave) à Marseille pour y faire 20 ans de travaux forcés. Mais avant ce drame il a pu mettre sa famille et les envoyer dont, Jenny enceinte, à l’abri aux États-Unis. Cette dernière semble s’être beaucoup rapprochée de la famille de la sœur de la Reine Ranavalona III, la Princesse Rasendranoro.

Une figure dominante du règne de sa sœur, elle est exilée à Alger avec sa parente à la défaite des malgaches. C’est ici qu’elle devient une des actrice principale de cette” histoire dans l’Histoire“. Fille d’une lignée princière remontant directement à Andrianampoinimerina, elle est la sœur du Prince Ratsimamanga. Son frère est un des personnages les plus importants de la résistance anti-française et est soupçonné d’avoir soutenu le soulèvement des Menalamba est exécuté en même temps que Rainandriamapandry à Antsahamanitra en 1896. Sa présence forte auprès de sa sœur semble l’avoir impliquée dans plusieurs des affaires du pays si déjà on prend compte que Rainilaiarivony avait bien évité de ne pas lui octroyer le trône lui préférant Razafindrahety plus docile. Là où j’ai calé plusieurs jours, sinon mois, fut de retrouver la trace de son fils, le père de Andy Razaf, Henri Razafinkarefo. Déjà remonter dans la généalogie n’a pas été facile, elle a été mariée 4 fois et semble avoir eu plusieurs compagnons.

Photographed in Réunion in the early days of her captivity, she looks thin, downcast and stands outside a palatial wooden villa with her older sister Princess Rasendranoro (on the right) and influential aunt – Princess Ramasindrazana (on the left) and nephew (in the bowler hat), Prince Rakotomena. Princess Rasendranoro’s daughter Princess Razafinandriamanitra, pictured below centre, also acompanied them. The fourteen-year-old princess was nine months pregnant with the illegitimate child of a French soldier.
https://www.kerrytaylorauctions.com/blog/51/

L’épisode qui aura vraiment marqué l’Histoire étant celui qui a scellé le destin du Dr Andrianaly alors 1er médecin malgache avec Dr Rajaonah fils de Rainandriamampandry. Il a été condamné à mort pour violence conjugale envers Rasendranoro mais étant noble (et médecin formé 8 ans à Edimbourg) a été exilé à Ambositra. Je ne pense pas même en 2022 avoir vu pareil jugement et tiens à souligner la régression sociale que Madagascar a vécu depuis le Code des 305 promulgué par Ranavalona II en 1881. Il s’agit des lois et des coutumes à respecter sous l’État Souverain de Madagascar. Aussi avant d’avoir vécu cette relation abusive, Rasendranoro a été en relation avec Razafinkarefo et DIEU sait si je n’ai pas eu du mal à trouver quelque chose sur ce personnage. Il y a donc 2h j’ai pu retracer son identité et son parcours en ayant tout simplement découvert un article par Jaqueline Ravelomanana, Historienne et qui cite Raombana (qui n’a pas de profil Wikipedia) sur son ancêtre :

« Razafinkarefo, fils d’Andriandralala, le plus ancien précepteur (the first instructor) du roi et son Premier Ministre, gardien du Trésor, chargé de la levée des impôts et du recouvrement des droits deouanes, juge suprême et arbitre dans tous les procès où les magistrats compétents se trouvent en désaccord. Le père de Razafinkarefo vint immédiatement après le roi Radama 1er dans l’exercice du pouvoir absolu. »

Lequel des Razafinkarefo a donc eu un enfant (ou des enfants) avec Rasendranoro ? Franchement je ne sais pas, je suis preneuse de cette information. Ce qui est certain c’est que la famille reste très puissante car leur fils Henri a pu étudier dans une École Militaire à l’étranger. Vous noterez que Marie-Louise la petite-fille de Rasendranoro née à La Réunion porte aussi le nom de famille Razafinkarefo. Donc je commence à saisir l’importance de Sieur Razafinkarefo pour la Princesse Rasendranoto qui s’est pourtant mariée plus de 4 fois. Est-ce que c’est en mode « vodiondry » que le couple Razafinkarefo-Rasendranoro arrive à convaincre la Reine (et le Premier Ministre) de céder la concession de « Wallerland » à l’ancien consul ? Leur fille Jenny à cette époque a 14 ans et aurait le même âge que la très jolie Princesse Razafinandriamanitra. Imaginons donc probablement les jeunes se fréquentant, les parents voulant lier les relations avec un représentant de la grande nation américaine et l’histoire qui noue l’Histoire : le fils d’une Princesse Merina qui épouse donc la fille d’un ancien esclave Américain.

John L. Waller: Striving For Equality
A documentary which examines the life and times (1850 – 1907) of John L. Waller, a prominent African American attorney, politician, newspaper publisher, diplomat and soldier.
Directors
David M. Talley 2010
https://www.amazon.com/John-L-Waller-Striving-Equality/dp/B004492TS4

Andry Razaf a bien eu des ancêtres malgaches dont certains ont fait partie des plus privilégiés  et plus puissants du Royaume au 19è siècle. Par sa grand-mère paternelle la Princesse Rasendranoro, des rois et des reines mêmes, et de par son père descendant d’un des premiers malgaches a avoir été éduqué en Angleterre. Je recommande de lire plus sur les recherches sur ces jeunes nobles pupilles de Radama 1er et dont la plupart ont continué à servir Ranavalona 1ère car c’est un soubresaut de début de méritocratie (bien qu’encore très limitée aux gamins des nobles). Je recommande l’ouvrage de Gwyn Campbell The Madagascar Youths: British Alliances and Military Expansion in the Indian Ocean Region sorti en 2022. Mais si Andy Razaf a su attirer l’œil du grand Marcus Garvey ça aurait été par contre grâce à la résilience et patriotisme dont a fait preuve sa famille maternelle. La jeune Jenny, veuve de Henri mort au combat en 1895, a dû subvenir à leurs besoins toute seule dans une ville comme New York qu’elle connaît à peine. Son père une fois libéré décide de s’engager dans la guerre hispano-américaine pour libérer Cuba et créée un bataillon afro-américain (toujours banni de l’armée américaine) mais ces efforts ne remettront jamais la famille au niveau des grandes ambitions de John L. Weller qui mourra ruiné et malade alors qu’Andrea a tout juste 9 ans.

n haut à gauche, Thomas « Fats » Waller. En haut à droite, Andy Razaf et Jean Blackwell Hutson avec laquelle il sera marié 8 ans (1939 – 1947). En bas à droite, publicité avec Andy Razaf pour une crème capillaire. ©7LLM. https://7lameslamer.net/andy-razaf-3-1971/

Mais bon. Si j’arrive maintenant à croiser les sources d’informations sur les enjeux et les jeux durant les derniers jours du Royaume Merina, j’insiste sur le fait que cela été très bien documenté par des correspondants de la presse internationale, des voyageurs, des missionnaires et surtout par les malgaches eux-même qui ont su garder leurs archive. On pourrait encore plus compliquer l’exercice en intégrant les relations Sakalava et Betsimisaraka de l’époque en mode Princesse Betia de Sainte-Marie et son frère Zanahary le Sakalava et franchement j’aurais fini par apprendre le Sorabe, le Norvégien et l’Arabe pour raconter les histoires. D’ailleurs c’est là-dedans que je vais plonger car je vais tenter de « redonner vie » à l’utopie « Wallerland » . Cette fois sous le scope de ma spécialité : l’aménagement . Parce que Fort-Dauphin n’est pas énorme et ces 10 000 ha de terres arables ça doit se trouver très facilement dans une ville où il y a 7 couches d’histoires dans l’Histoire.

Mais aussi je vais plonger dans le mouvement naissant Panafricain en investiguant la piste Andy Razaf le Journaliste et non plus le Musicien. Il y a quelque chose de fascinant dans ces initiatives de créer des “colonies dans les colonies” (oui appelons un chat un chat). t maintenant avec le recul que nous avons sur le Libéria et les faits divers sur l’envoi par cargo des migrants depuis la Grande-Bretagne au Rwanda en 2022, je suis certaine qu’on s’est perdus quelque part dans le discours et l’acte. Donc je vous laisse sur ce beau clip de la pièce de Broadway Hamilton qu’Andy Razaf aurait assurément peut-être apprécié :

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