Maurice Rotival était un urbaniste et architecte français, formé en France, qui s’est illustré par ses travaux aux États-Unis, notamment en tant que planificateur urbain de la ville de New Haven, dans le Connecticut, dans les années 1940-1950. À New Haven, Rotival a appliqué une vision moderniste de l’urbanisme, cherchant à revitaliser le centre-ville en intégrant des infrastructures modernes comme les autoroutes et les systèmes de transport, tout en répondant aux besoins industriels et résidentiels. Sa conception reposait sur une séparation claire des fonctions urbaines (résidentielles, commerciales, industrielles), une approche très rationnelle et planifiée, typique de l’urbanisme moderniste de l’époque.

Son expertise internationale l’a également conduit à Madagascar, où il a élaboré des plans urbanistiques dans le cadre de la colonisation française. Le plan Rotival visait à moderniser la capitale, Antananarivo, et d’autres régions à travers une organisation urbaine basée sur la centralisation des infrastructures, avec la mise en place de réseaux de transport (routes, chemins de fer) et d’approvisionnement (eau, électricité). Bien que ce plan ait permis une certaine modernisation des infrastructures, il a été critiqué pour son approche top-down, sans véritable consultation des populations locales. Le résultat fut des infrastructures parfois inadaptées aux réalités malgaches, avec des disparités régionales encore visibles aujourd’hui.

En Amérique du Nord, selon mon opinion personnelle, la formation en architecture représente un écart culturel et politique énorme comparé à celle enseignée en France, où 90 % des architectes malgaches sont formés. Cela devient très clair lorsque l’on revient travailler à Madagascar. On jongle déjà entre le système impérial et le système métrique – c’est schizophrénique, mais au Québec, on a bien géré cette dualité. Cependant, en revenant ici, on réalise vite que l’on ne travaille pas comme tout le monde, avec des décalages dans le jargon et les pratiques. Je me rappelle qu’au début, je répétais l’expression New Urbanism à tout bout de champ, sans aucune réaction en face de moi. Bref. Désespérance. c’est un mouvement d’urbanisme né dans les années 1980 aux États-Unis, visant à créer des communautés durables et centrées sur les piétons. Il promeut la densité urbaine, la mixité des usages (résidentiel, commercial, récréatif), et des espaces publics accessibles à pied, tout en réduisant la dépendance à l’automobile. Ce modèle met l’accent sur l’échelle humaine, la qualité de vie, et l’intégration des espaces verts et des infrastructures publiques dans des quartiers conçus pour favoriser les interactions sociales et une urbanisation plus responsable.

Sans utiliser des exemples architecturaux cette fois (sinon, on va encore parler de bois et de BTC), donc comme vous l’avez constaté je vais vous parler plutôt d’urbanisme. Les stratégies de développement urbain en Afrique incluent plusieurs approches innovantes adaptées à la croissance rapide des villes. Parmi elles, le développement de villes nouvelles comme Diamniadio au Sénégal permet de créer des pôles économiques ex nihilo pour désengorger les capitales. Je préfère personnellement de loin les initiatives de revitalisation des centres urbains, qui redonnent vie aux quartiers dégradés, mais bon, c’est mon avis. En parallèle, les Smart Cities, comme à Maurice, et les écocités, telles que Eko Atlantic, intègrent des technologies avancées et des solutions durables pour gérer efficacement les ressources et infrastructures, offrant ainsi des environnements urbains plus intelligents et écologiques.

Pour vraiment comparer les différences dans les pratiques de planification urbaine parlons notamment des ZAC. En France, une Zone d’Aménagement Concerté (ZAC) est rigoureusement pilotée par l’État, où chaque étape est contrôlée de façon quasi militaire. Tout est planifié de façon millimétrée : infrastructures, services, développement urbain. Les ZAC en France sont rigides en raison d’un cadre juridique et administratif très centralisé. Leur mise en œuvre repose sur une planification stricte à travers des documents d’urbanisme (PLU, SCOT), une maîtrise foncière publique, et une concertation obligatoire avec les parties prenantes. Le processus est également soumis à un contrôle administratif rigoureux, impliquant plusieurs niveaux d’approbation par des autorités publiques. Cela assure une cohérence territoriale et une intégration des aspects sociaux et environnementaux, mais ralentit considérablement les projets, rendant le développement des ZAC moins flexible que des modèles comme les PUDs nord-américains. En moyenne, le coût d’une ZAC de 5 hectares peut varier entre 5 et 10 millions d’euros, selon la complexité des infrastructures à mettre en place, les études d’impact, et les exigences en termes de logements sociaux et d’équipements publics .

En Amérique du Nord, en revanche, les PUDs (Planned Unit Developments) ou zones de réaménagement urbain sont beaucoup plus souples. Chaque projet est négocié directement entre les promoteurs privés et les municipalités locales, sans cadre national rigide. Par exemple, Hudson Yards à New York ou la Cité du Multimédia à Montréal, qui couvre environ 40 000 m² (4 hectares), illustrent cette flexibilité : les accords locaux, les subventions temporaires et les crédits d’impôt dictent tout. Cela apporte plus de rapidité, mais peut aussi conduire à des dérives. La Cité du Multimédia en est un bon exemple : elle avait pour but de revitaliser une zone industrielle à Montréal avec des crédits d’impôt de plus de 40 % et coût de construction d’une des phases, d’environ 29 millions de dollars canadiens,. En 5 ans, malgré la création de 6 000 emplois et l’implantation d’Ubisoft, le projet est devenu principalement immobilier, avec des entreprises qui ont transféré leurs employés existants pour bénéficier des aides publiques, au lieu de créer de nouveaux postes. Ce genre de dérive est la conséquence d’un cadre trop flexible.

Maintenant, revenons à Madagascar. Ici, faire passer un décret puis l’appliquer avec les ressources disponibles est un défi monumental. L’AI me parle de tentatives comme la zone franche de Vohipeno qui a échoué à cause du manque d’infrastructures adaptées, et la Textile City de Moramanga dont on n’entend plus parler non plus. Antsirabe a attiré quelques industries, mais a souffert d’un manque de coordination locale. Le projet Tana-Masoandro 1.0 montre que sans consultation locale ni cadre législatif solide, on court droit à l’échec. Les villes comme Nosy-Be, Antananarivo, Fianarantsoa et Tuléar devraient pouvoir gérer elles-mêmes leur développement. Pourtant, malgré la loi n°2014-020, les communes n’ont pas encore les ressources nécessaires pour devenir autonomes. Sans une décentralisation effective, les villes secondaires ne pourront pas devenir les pôles de croissance nécessaires, comme l’a montré le Rapport Urbain de la Banque Mondiale publié cette année. En adoptant un modèle hybride entre le cadre rigide français et la flexibilité nord-américaine, Madagascar pourrait enfin désenclaver son économie et mieux structurer son urbanisme.

En Afrique, certaines villes autrefois sous administration coloniale française ont su s’affranchir du modèle centralisé français. Dakar, au Sénégal, est un exemple notable. Après l’indépendance, la ville a intégré des réformes décentralisées à travers le Code des Collectivités Locales de 1996, permettant aux autorités locales de mieux gérer les projets urbains et les finances, tout en renforçant l’implication des acteurs locaux. De même, Abidjan, en Côte d’Ivoire, a su se détacher du modèle administratif centralisé français avec la loi de décentralisation de 2001, qui a octroyé plus de pouvoir aux collectivités locales pour gérer leurs propres budgets et infrastructures. Ces exemples montrent qu’il est possible pour des villes ayant un passé colonial français d’adopter des systèmes plus souples et adaptés à leurs contextes locaux.

Un autre exemple marquant est Waterfall City en Afrique du Sud, un projet de développement urbain massif qui s’inspire fortement du modèle nord-américain des Planned Unit Developments (PUDs). Lancé en 2008, ce projet a vu un investissement total estimé à 1,5 milliard de dollars américains et a permis la création d’environ 85 000 emplois directs et indirects. Il s’agit d’une ville intégrée qui combine des zones commerciales, résidentielles, industrielles et de loisirs, avec des entreprises telles que PwC et Dimension Data ayant établi leur siège régional dans cette zone. De plus, le Mall of Africa, l’un des plus grands centres commerciaux du continent, y a ouvert ses portes en 2016.
Cependant, comme pour beaucoup de projets d’inspiration nord-américaine, Waterfall City présente des aspects négatifs dus à son cadre socio-économique mal géré. Il est souvent critiqué pour son inaccessibilité aux populations à faible revenu, ce qui creuse davantage le fossé économique entre les différentes classes sociales.

Mais avant tout, il y a une urgence critique : résoudre le problème de l’énergie. Sans une énergie fiable et accessible, aucune stratégie de développement urbain, qu’elle soit centralisée ou décentralisée, ne pourra fonctionner correctement. Tous ces projets ambitieux, qu’ils concernent l’industrie, le tourisme ou même les infrastructures locales, dépendent d’une base énergétique solide. Il est important que Madagascar investisse massivement dans ses capacités énergétiques avant d’espérer des progrès dans la gestion urbaine.

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