L’urbanisme participatif, l’assainissement des quartiers informels, et des solutions innovantes peuvent être les piliers d’une transformation plus profonde si ces initiatives sont renforcées par une gouvernance transparente et une planification à long terme. Pour véritablement briser le cercle du déterminisme social, Antananarivo devra non seulement investir dans des infrastructures physiques, mais aussi dans des réformes sociales et politiques inclusives qui répondent aux besoins des plus vulnérables.

Avec une population de plus de 3 millions en 2020, Antananarivo fait face à une urbanisation rapide, souvent désorganisée, qui met une pression immense sur les infrastructures existantes. Les quartiers informels se développent à grande vitesse, sans planification adéquate ni accès à des services de base. En 2022, seuls 15 % des ménages vivant dans ces zones avaient accès à des toilettes fonctionnelles, tandis que 30 % bénéficiaient d’un accès direct à l’eau potable. Pour la majorité des habitants, l’eau doit être achetée auprès de vendeurs informels, à des prix pouvant atteindre 500 ariary par bidon jaune de 20 litres, ce qui constitue une charge financière importante pour les familles les plus vulnérables.

Fondée en 1989 par le Père Pedro Opeka, l’initiative d’Akamasoa est l’un des projets sociaux les plus marquants à Madagascar. Ce projet vise à fournir des logements décents, une éducation et des opportunités économiques aux familles les plus pauvres. Jusqu’à présent, Akamasoa a permis la construction de plus de 4 000 maisons et a accueilli environ 500 000 personnes depuis sa création. En parallèle, plus de 13 000 enfants bénéficient d’une éducation dans les écoles créées par le projet, et des milliers d’emplois ont été générés pour les résidents, leur permettant de subvenir à leurs besoins et de sortir de la pauvreté.

De nombreux exemples internationaux montrent que des réformes structurelles et des approches inclusives peuvent transformer les villes en garantissant un développement plus juste et équitable.

La ville de Curitiba, au Brésil, sous la direction de l’urbaniste Jaime Lerner dans les années 1970 et 1990, est devenue un modèle en matière d’urbanisme participatif et d’initiatives écologiques. Curitiba a mis en place des politiques environnementales avant-gardistes, comme le recyclage des déchets et la création de parcs urbains. Ces programmes ont permis d’améliorer la qualité de vie des habitants, tout en assurant un développement durable et une meilleure gestion des ressources naturelles.

À Séoul, en Corée du Sud, la réhabilitation de la rivière Cheonggyecheon, achevée en 2005, a marqué un tournant dans la régénération urbaine. Ce projet a permis de transformer une zone encombrée et polluée en un espace vert public, créant ainsi un environnement plus sain et attractif pour les habitants. Cette initiative a également réduit les niveaux de pollution et stimulé l’économie locale en attirant des investissements. L’exemple de Séoul montre comment la régénération d’espaces publics peut jouer un rôle clé dans l’amélioration de la qualité de vie et le renforcement des liens sociaux.

La ville d’Addis-Abeba a lancé un ambitieux programme de logements abordables en 2014, avec pour objectif de répondre aux besoins croissants de la population urbaine. Ce programme a permis de construire environ 100 000 unités de logement pour des familles à faible revenu. En outre, 50 000 logements supplémentaires sont en construction dans le cadre de ce projet, et le gouvernement prévoit d’atteindre 500 000 unités d’ici 2025. Ce programme repose sur une approche participative, où les coopératives de construction jouent un rôle clé. Les résidents sont impliqués à chaque étape du processus, ce qui a permis d’améliorer l’accès à des logements décents tout en renforçant la cohésion sociale.

En parallèle, le programme a intégré des infrastructures essentielles, telles que des systèmes d’approvisionnement en eau et en électricité, contribuant ainsi à la réduction de la pauvreté urbaine. Ce modèle a permis de réduire de 25 % les besoins en logements sociaux à Addis-Abeba et a stimulé la création d’emplois dans le secteur de la construction.

Les exemples d’Akamasoa à Madagascar, de Curitiba au Brésil, de Séoul en Corée du Sud et d’Addis-Abeba en Éthiopie montrent que des réformes inclusives et participatives peuvent avoir un impact durable sur la qualité de vie des populations urbaines. En s’appuyant sur une gouvernance transparente, une planification à long terme et l’implication active des citoyens, Antananarivo peut surmonter les obstacles structurels et assurer un développement plus équitable pour ses habitants.

Les théories urbaines contemporaines offrent des perspectives variées sur la manière dont les villes évoluent, s’adaptent et se transforment, en particulier dans le contexte des pays en voie de développement post-coloniaux. À travers l’analyse des dynamiques spatiales et sociales, plusieurs théoriciens rejettent la notion de déterminisme social — l’idée selon laquelle la forme urbaine conditionne directement les comportements et les interactions sociales des habitants. Au lieu de cela, ces théories mettent en avant la complexité des interactions entre les infrastructures, les politiques, et les dynamiques sociales qui façonnent la ville. Les exemples des villes post-coloniales montrent comment des interventions bien pensées peuvent renverser les conditions de marginalisation héritées du passé colonial et offrir de nouvelles opportunités à des populations historiquement exclues.

Dans le cadre des villes des pays en voie de développement, les théories de la justice spatiale, de la résilience urbaine et de l’urbanisme participatif sont particulièrement pertinentes. Des penseurs comme David Harvey (Social Justice and the City (1973) et Edward Soja (Seeking Spatial Justice (2010) soulignent que les inégalités sociales et économiques se matérialisent souvent dans l’espace urbain, où les populations pauvres sont reléguées à des périphéries délaissées, comme les bidonvilles, tandis que les centres urbains bénéficient d’infrastructures modernes. Dans les villes post-coloniales, cette réalité est exacerbée par les héritages de ségrégation spatiale et d’inégalités issues des périodes coloniales (et même de la ville indigène dans le cas d’Antananarivo), où l’aménagement de l’espace était conçu pour servir les élites coloniales et exclure les populations locales ou les castes avant la colonie.

Les bidonvilles, en tant que quartiers informels, sont souvent perçus comme les symptômes visibles de cette exclusion spatiale. Cependant, des théoriciens comme AbdouMaliq Simone et Manuel Castells adoptent une perspective différente, en insistant sur la capacité des résidents des bidonvilles à créer des réseaux informels de survie, de commerce et de solidarité. Pour eux, les quartiers informels ne sont pas des espaces de passivité ou de défaillance, mais des lieux de résilience et d’innovation sociale, où les habitants développent des solutions pour répondre à leurs besoins, en dépit du manque de soutien institutionnel.

Dans les pays post-coloniaux, les politiques urbaines tentent de naviguer entre la reconnaissance de ces pratiques informelles et la nécessité de formaliser les espaces urbains pour offrir des infrastructures et des services essentiels. Plusieurs exemples illustrent comment des interventions urbaines dans les pays en voie de développement réussissent à briser les cycles d’inégalités, tout en respectant les dynamiques locales..

L’Afrique du Sud, marquée par l’héritage de l’apartheid, présente des défis particuliers en matière d’intégration urbaine. Le Projet N2 Gateway à Cape Town est une initiative ambitieuse visant à réhabiliter les townships et à offrir des logements abordables pour les populations historiquement marginalisées. Ce projet est une réponse à la fragmentation spatiale extrême imposée par des décennies de ségrégation raciale.

Le N2 Gateway a pour objectif de rapprocher les résidents des townships des centres économiques, réduisant ainsi l’isolement géographique et social qui perpétue les inégalités. En permettant aux résidents de participer activement aux processus de réhabilitation, ce projet cherche à éviter le déterminisme social, où les infrastructures urbaines dictent la marginalisation. Malgré les défis de mise en œuvre, cette approche de réintégration spatiale représente un pas important vers la justice sociale et spatiale, en cherchant à remodeler l’urbanisme hérité de l’apartheid pour offrir de nouvelles opportunités aux résidents.

Le programme Favela-Bairro à Rio de Janeiro est un autre exemple de réussite dans la lutte contre le déterminisme social dans les quartiers informels. Les favelas, longtemps perçues comme des symboles de pauvreté extrême et de marginalisation, ont été historiquement ignorées par les politiques publiques. Le projet Favela-Bairro a pris une approche différente : au lieu de détruire les favelas et de relocaliser leurs habitants, le programme visait à améliorer les infrastructures existantes, tout en respectant les liens sociaux et économiques qui se sont développés au sein des communautés.

En intégrant des services publics, comme l’eau, l’électricité et les routes, et en créant des espaces publics sécurisés, le projet a permis aux habitants de rester dans leurs quartiers tout en bénéficiant d’une qualité de vie améliorée. De plus, l’approche participative, où les résidents ont été activement impliqués dans la conception et l’exécution des projets, a renforcé le sentiment d’appartenance et d’autonomisation. Ce modèle montre que l’urbanisme participatif peut transformer les bidonvilles en quartiers viables sans recourir à des solutions autoritaires qui reproduisent les inégalités sociales.

Enfin, à Mumbai, le programme Slum Rehabilitation Authority (SRA) s’est attaqué à la question des bidonvilles par le biais d’un modèle de partenariat public-privé. Les bidonvilles abritent une grande partie de la population de la ville, et la SRA cherche à formaliser ces espaces en fournissant des logements décents sans déplacer les habitants. En échange de droits de développement supplémentaires, les développeurs privés sont incités à construire des logements pour les résidents des bidonvilles, ce qui permet d’intégrer ces quartiers informels dans le tissu urbain formel.

Ce modèle se distingue par son approche inclusive, où les résidents ne sont pas relocalisés dans des zones éloignées, mais restent proches de leurs sources de revenus et de leurs réseaux sociaux. Cela démontre que la réhabilitation des quartiers informels peut être réalisée tout en respectant les besoins économiques et sociaux des résidents, et en évitant le déterminisme social souvent associé à la relocalisation massive.

Les exemples de Cape Town, Rio de Janeiro et Mumbai illustrent comment les villes post-coloniales peuvent relever les défis du développement urbain en intégrant des principes de justice spatiale, d’inclusion et de participation citoyenne. Ces projets montrent que, loin d’être conditionnées par leurs infrastructures ou par des formes rigides d’urbanisme, les populations peuvent être acteurs de leur propre transformation sociale et économique. Loin du déterminisme social, ces villes démontrent qu’avec des interventions urbaines bien pensées, il est possible de briser les cycles de marginalisation et de créer des environnements où tous les citoyens peuvent prospérer.

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