Version complète de l’article parue dans la version digitale des Nouvelles de Madagascar par Tiana Ramanoelina

“Privilégier les dessins d’apparats à la garantie structurelle d’un bâti est un risque (…) l’architecture est d’utilité publique*, et le professionnel privilégiera toujours la sécurité de l’usager sur le choix de la couleur du carrelage.”

Architecture et art; Joan Razafimaharo – Architecte : “Le secteur Architecture doit être assaini”

• Est-ce que vous pouvez nous résumer votre parcours académique et professionnel ?

Après l’obtention de mon baccalauréat, j’ai dû partir étudier l’architecture à l’étranger car la Charte UNESCO-UIA pour Union Internationale des Architectes n’a pas d’école accrédité sur leur liste à Madagascar. Afin d’assurer ma carrière en architecture, j’ai donc mené la totalité des étapes de formation supérieure exigée à l’École d’Architecture de l’Université de Montréal au Canada. J’y ai ainsi obtenu une Maîtrise en Architecture après un Baccalauréat en Design Architectural et un Mineur en Urbanisme.  Par la suite l’Ordre des Architectes du Québec exigeant un stage professionnel parmi les exigences d’obtention de la licence de pratique en architecture, j’ai accompli mes 5880 heures soient 3 ans dans différentes firmes canadiennes. Cela fait maintenant 10 ans que je suis rentrée définitivement à Madagascar. Je suis membre de l’Ordre des Architectes Malagasy sous le matricule OAM 131 depuis 2012. J’ai par la suite monté ma propre firme TRANO ARCHITECTURE* tout en participant activement en tant que bénévole et aussi consultante dans la promotion des bonnes pratiques auprès de plusieurs institutions à travers le pays.

Références

* www.trano.mg

• Pourquoi vous avez choisi ce métier ?

J’ai “architecturé” depuis mon enfance. À la maison, nous avions des magazines américains type “Southern Living” avec des plans  de maisons vernaculaires que je redessinais. À 7 ans, je pense en avoir juste réussi les grandes lignes mais vers 10 ans quand on a eu notre 1er PC avec le fameux logiciel “Paint” de Microsoft, mes façades commençaient à prendre des couleurs. En parallèle, j’avais aussi développé une mini-ville de poupées Barbies avec des immeubles d’appartements meublés. J’ai aussi eu l’opportunité de beaucoup voyager et de découvrir les différentes cultures, environnements et habitats. J’ai pu visiter la presque totalité des grandes villes de Madagascar avant mes 18 ans. Cela est très formateur de parcourir le pays car cela ouvre à la culture générale, la curiosité et à l’intérêt pour autrui, des compétences d’architecte.

• Où est-ce que vous exercez le métier ?

Partout.

La profession se pratique dans l’environnement bâti urbain mais aussi dans les milieux ruraux et les paysages les plus diversifiés. J’ai donc profité des grandes étendues de Madagascar pour faire connaître notre profession en m’impliquant dans les communautés à tous les niveaux. Un de mes 1ers contrats a été de rénover des locaux dans la grande région industrielle viticole de Fianarantsoa et nous avons terminé en 2022 la rénovation d’un grand bâtiment du milieu bancaire à Manakara. Cette dernière expérience a été très formatrice autant pour nos équipes que pour le maître d’ouvrage (le client) qui a reconnu l’importance de notre présence en maîtrise d’oeuvre notamment durant les périodes cycloniques. En ce moment, je suis souvent sur Nosy-Be où j’assiste, à titre de consultante, auprès d’institutions sur les bonnes pratiques dans le secteur de la construction et de l’aménagement.

• Pouvez-vous nous parler de vos réalisations ?

J’ai commencé “grand” lorsque j’ai été assignée à un projet de + 10 000 m2 à esquisser en 2008 durant mon stage professionnel obligatoire dans une firme de Montréal. Depuis mon portfolio s’est beaucoup diversifié et je ne privilégie pas d’échelle ou de domaine spécifique. J’ai fièrement mené un très petit chantier que je qualifie en toute humilité de “elakelantrano végétalisé” pour la Fondation des Aires Protégées pour la Biodiversité de Madagascar en 2018. La même année, nous avons débuté la programmation suivant un cahier des charges très rigoureux de l’agence américaine pour le contrôle alimentaire, le Food and Drugs Administration, la FDA, d’une chocolaterie basée à Madagascar. C’est juste quelques temps avant sa réception, alors que je venais d’avoir mon 4è enfant, que commençaient 2 projets que nous avons menés en tant que Maître d’Oeuvre : la rénovation de la Madressah d’Ankorondrano et la construction du Cinéma Canal Olympia Iarivo.

Rénovation de la Madressah d’Ankorondrano

• En quoi consiste le métier ? Quel est son utilité dans la phase de construction ? Est-ce obligatoire de faire appel à un architecte ?

La profession d’architecte fait partie des sciences appliquées et demande une bonne maîtrise des sciences pures tout autant que les sciences humaines mais aussi du dessin. Par Ordonnance*, “la vocation de l’Architecte est de participer à tout ce qui concerne l’acte de bâtir et l’aménagement de l’espace, d’une manière générale, l’Architecte exerce la fonction de Maître d’Œuvre”. Il y a des règlementations bien posées pour les rôles et responsabilités des différentes professions du bâtiment dans la Loi sur la Maîtrise d’Ouvrage** . Afin de mieux illustrer le rôle et l’utilité de l’architecte, je citerai ici quelques points d’ancrages sous la forme du processus d’un projet de construction :

• La phase stratégique dite de Programmation préparée par le Maître d’Ouvrage doit être relayée par l’Esquisse et l’Avant-Projet Sommaire. Comme dans un plan d’action, il faut bien lister tous les jalons mais dans le domaine de l’architecture cela prend des dimensions différentes. Les croquis à main levée par extension de notre pensée et de nos réflexions se transforment en diagrammes et plans,
• L’Avant-Projet Définitif sert à détailler le projet en tous points : graphisme, chiffrage et planning. C’est ici que je commencerai à comparer notre travail à celui du “Maître d’Orchestre”. Plusieurs musiciens (dont les différents ingénieurs), types d’instruments (avec le BIM Building Information Modeling) et des variations à établir afin d’établir une belle mélodie. C’est d’ailleurs après cette étape que sont émis les cahiers de charges et surtout les documents pour le permis de construire. Comme dans tous les pays du monde, les communes de Madagascar doivent émettre des permis de construire pour toute construction. Nous devons par la suite suivre la loi*** qui impose la signature de l’architecte lorsque la surface dépasse 150 m2.
• La Maîtrise d’Oeuvre durant les travaux où le “Maître d’Orchestre” pose le tempo et contrôle la conformité aux plans de conception. Dans le contexte actuel, où beaucoup de scandales sont apparus à la suite des drames de Turquie et de la Syrie, l’absence de contrôle pratiquant dans l’éthique durant le processus de construction a causé des millions en dégâts et malheureusement des milliers de morts.

Charte graphique au Guichet Unique de la Commune Urbaine d’Antananarivo auquel doit être assujetti tout plan déposé pour Permis de Construire. Auteur : Rado Rakotoseheno OAM 151

références :

*Ordonnance N° 93-018 Portant institution de l’Ordre des Architectes Malgaches et de la règlementation de la profession https://www.dropbox.com/s/dfo14mi3vpn54t3/ORDONNANCE_93-018.pdf?dl=0

**Loi N° 99-023 sur la Maîtrise d’Ouvrage https://www.dropbox.com/s/wi88chnswvkxn4a/LOI%2099-023%20MAITRISE%20D%27OUVRAGE.doc?dl=0

***Décret N° 93 455 portant application de l’ordonnance instituant l’Ordre des Architectes Malgaches et règlement de la profession https://www.dropbox.com/s/qadap5j2ojzfy5d/Decret93-455-ApplicationInstitutionOAM.pdf?dl=0

• Comment trouvez-vous le marché à Madagascar par rapport à l’étranger ? Est-ce un métier qui fait vivre ?

Tout pays possède ses propres perspectives de développement, avant le Covid-19, selon les données du Ministère des Finances, le secteur du BTP apportait 35,4% au PIB de Madagascar. Il y a beaucoup à construire dans notre pays, la question serait de savoir si on réussira à optimiser la qualité et la durabilité qui sont un gage de la modernité. Que cela soit dans les milieux ruraux  ou  urbains, l’habitat malgache possède déjà des caractéristiques traditionnels adaptés à nos modes de vie qui n’ont rien à envier à l’étranger. Les Ntaolo avaient imposé une implantation du bâti dans un axe Nord-Sud et des ouvertures à l’Ouest, cette logique suit les principes de l’architecture bioclimatique. L’emploi des matériaux locaux disponibles, écologiques, culturellement acceptés et quasiment gratuits peuvent générer plus que  de la valeur ajoutée. Cela permettrait de développer de façon vertueuse un secteur très injuste pour la main d’oeuvre et l’environnement. Il a déjà été constaté sourcing des gravillons et des sables de rivière pour la fabrication du béton dans les chantiers cause des chocs environnementaux et sociaux très importants au niveau des fokontany à travers tout le pays. Donc si on se rapporte à la question : “si ce métier fait vivre?” je demanderai plutôt si le coût de la prise de responsabilité dans l’acte de bâtir importait? Mais plus généralement au niveau de la société malgache, il y a beaucoup de réticences à avoir recours aux professions libérales avec des conséquences tragiques. Les professions tels les avocats, médecins ou experts-comptables ont pris des décennies pour se faire reconnaître et encore de nos jours les actualités publient quotidiennement des faits divers sur les méfaits des charlatans et les imposteurs.

Brique de Terre compressée, matériau 100% écologique

• Quels sont les différents métiers d’architecte ? Qu’avez-vous  à dire des offres de conception 3D pullulent sur les réseaux sociaux ?

L’usurpation du port du titre d’architecte est puni par la la loi* à Madagascar. Il y a bien sûr d’autres corps de métiers où les responsabilités sont bien définies tels les architectes-paysagistes qui sont comme le nom l’indique dans une expertise liée à l’aménagement de l’espace extérieur. Idem pour l’architecte d’intérieur qui aura pour mission l’agencement de l’espace intérieur. Lors de projets complexes, comme je l’avais indiqué plus haut, l’architecte mène le projet à la baguette depuis la conception jusqu’à la réception des travaux, cela inclura la réalisation des livrables graphiques. Un projet doit être visualisé suivant une nomenclature bien codifiée. Les épures sont les figurations basiques, on y retrouve les plans, coupes et élévations. Les axonométries et perspectives sont développés pour une meilleure compréhension du projet par le non initié sans regard technique. Les offres sur les réseaux sociaux, similaires au registre des packs publicitaires, ne proposent pas de service mais plutôt un produit. Et même si le projet commandé consiste à un cabanon de moins de 150 m2 placé dans une forêt, il sera exigé un permis de construire. Là aussi je ramène la question à “qui oserait risquer son investissement ou ses économies sur la base d’une image 3D?”. Bien entendu, le secteur doit être assaini. Je recommanderai plus de pédagogie à diffuser auprès des donneurs d’ouvrage. Privilégier les dessins d’apparats à la garantie structurelle d’un bâti est un risque surtout si le projet sera à construire. Il faudra aussi prendre en compte que de par sa déontologie, car l’architecture est d’utilité publique, le professionnel privilégiera toujours la sécurité de l’usager sur le choix de la couleur du carrelage.

Le client achète un produit qui illustre l’ambiance et non un vrai service en architecture

références :

*Ordonnance N° 93-018 Portant institution de l’Ordre des Architectes Malgaches et de la règlementation de la profession https://www.dropbox.com/s/dfo14mi3vpn54t3/ORDONNANCE_93-018.pdf?dl=0