J’aurais aimé commencer ce texte par des références rigoureusement scientifiques et culturelles sur la typologie architecturale malgache, en lien avec la cosmogonie qui sous-tend nos croyances. Mais après de nombreuses observations et lectures, il m’est apparu que plusieurs points nécessitent des réflexions approfondies sur la théorie de l’architecture à Madagascar, son syncrétisme et ses multiples influences. Plutôt que de m’égarer dans ces considérations, j’ai préféré aller directement à l’essentiel : le cœur du sujet, technique et concret.

La notion de “Maison-Horloge” veut que l’implantation des cases suive le cycle journalier du soleil. Chaque phase du jour est associée à des expressions bien précises comme “vazovazo” (l’aube, juste avant le lever du soleil), ou encore “misandratr’andro” (quand le soleil est bien haut dans le ciel, vers midi). Les ouvertures sont donc soigneusement orientées pour capter la lumière à des moments stratégiques, répondant à la fois aux besoins pratiques et à une profonde connexion avec les cycles naturels. Cet agencement se traduit par des fenêtres orientées à l’ouest, calculées pour capturer l’ensoleillement aux heures critiques de la journée, tout en tenant compte des contraintes structurelles, notamment l’emboîtement des planches et leur largeur. Quant au débord des toitures en très grandes pentes, il permet un écoulement optimal des eaux de pluie, tandis que les auvents et vérandas témoignent de notre héritage tropical austronésien.

Que ce soit sur les Hautes Terres ou au bord de l’Océan Indien, les configurations architecturales sont étonnamment similaires, malgré les variations liées aux ressources locales disponibles pour les matériaux. Cependant, depuis la colonisation et surtout après l’ouverture à la mondialisation, nous avons radicalement inversé nos stratégies en matière de confort thermique. Par moments, je ne sais plus si je suis à Dubaï ou dans une banlieue de Moscou, tant les formes architecturales semblent déconnectées de notre réalité climatique.

C’est donc dans ce contexte que je souhaite vous parler du brise-soleil, un élément qui, sous une forme ou une autre, a toujours été là, mais qui est devenu totalement inutile aujourd’hui, maintenant que nous avons une passion dévorante pour les boîtes à quincaillerie climatisées.

Cet élément architectural classique, mais rapidement écarté par des dogmes de mouvements architecturaux étranges et surtout pour des raisons financières discutables, doit reprendre sa place dans le palmarès des “fioritures” architecturales vitales. Déjà, le dispositif de contrôle solaire et son calcul d’ombre portée en fonction de l’angle du soleil m’ont valu un D+ en 1ère année d’architecture dans le fameux cours “Enveloppe et Climat du Bâtiment”. Sans oublier la fois où, dans notre projet “Nainga Bioclimatique Latsaka Faha Efany”, l’annulation de la ligne “brise-soleil” nous a coûté des millions en VMC et une humiliation digne des abysses de la Fosse des Mariannes. Ajoutons à cela ce chantier où, après 10 jours de congé, le client nous a gratifiés de 20 climatiseurs flambants neufs sur la façade (juste à côté des claustra, bien sûr), réduisant à néant des semaines de travail sur la ventilation naturelle. Autant vous dire que je vais m’étendre sur ce bel élément et vous abreuver d’un exposé très référencé sur l’intérêt de pratiquer l’efficacité énergétique dans le bâtiment.

Ce pare-soleil, loin d’être une invention moderne, tire ses racines de traditions architecturales anciennes. En Inde, par exemple, les janlis, ces jalousies en bois, et les verandahs servaient déjà à filtrer la lumière tout en assurant une ventilation naturelle. Ces astuces, qu’on retrouvait dans des styles comme le Rajputana et le Mughal, visaient à éviter de cuire sous le soleil écrasant. Ces civilisations avaient compris l’essentiel bien avant nous. Le contrôle solaire moderne n’a fait que reprendre ces principes en les adaptant à une esthétique plus carrée, plus bétonnée, mais pas forcément plus performante.

Dans le Sud-Est asiatique, même constat. Les rumah panggung d’Indonésie ou les rumah Melayu de Malaisie, avec leurs persiennes en bois et leurs toits en surplomb, étaient des systèmes d’ombrage avant l’heure. L’idée restait la même : faire respirer la maison tout en la protégeant des déluges tropicaux et du soleil de plomb. Tout cela bien avant que l’Occident ne s’approprie le concept sous l’étiquette “modernisme”. Ce qui me fascine ici, c’est cette capacité d’anticipation : ces bâtisseurs avaient déjà des solutions bioclimatiques avant même que ce terme soit inventé.

Arrive le XXe siècle et l’explosion du modernisme. Qui d’autre que Le Corbusier pour remettre au goût du jour l’usage des protections solaires, notamment dans ses projets tropicaux ? Mais c’est en Amérique du Sud que ces dispositifs vont réellement prendre leur envol, avec des architectes comme Oscar Niemeyer et Lucio Costa. Le Ministério da Educação e Saúde à Rio de Janeiro en est un exemple phare. Grâce à ces solutions passives, la climatisation devient presque accessoire, l’architecture s’occupant elle-même de réguler les températures. Voilà où l’élément d’ombrage s’impose : bien plus qu’une coquetterie, c’est un véritable outil de contrôle climatique.

Aujourd’hui, l’utilisation de ces systèmes ne relève pas du simple caprice décoratif. Selon des études récentes, ils peuvent réduire la température intérieure de 4 à 6°C, en fonction de l’orientation et du matériau choisi. En Asie du Sud-Est, où le soleil ne pardonne pas, cette simple mesure peut réduire la consommation énergétique de 20% dans les bâtiments climatisés. Bien sûr, tout dépend des matériaux utilisés. Ce n’est pas le moment de lésiner sur la qualité des lames.

Ces dispositifs d’ombrage ne se contentent pas de bloquer le soleil, ils sont aussi d’excellents pare-pluie. Dans les régions tropicales, où les précipitations peuvent être dévastatrices, leurs lames inclinées dévient la pluie tout en laissant l’air circuler. C’est là qu’on voit la vraie prouesse technique : gérer la lumière, la ventilation et l’étanchéité avec un seul élément.

Prenons le cas de Madagascar, dans l’Atsinanana, au climat semblable à celui de l’Asie du Sud-Est, ces systèmes protégeraient les façades tout en assurant une ventilation naturelle essentielle pour éviter humidité et moisissures. Les infiltrations d’eau, problème typique des bâtiments tropicaux, sont également réduites, ce qui améliore la longévité des structures. En Malaisie, des études ont montré que lors des fortes pluies, ces systèmes réduisaient les infiltrations d’eau de 30%, tout en augmentant la ventilation naturelle. Plutôt impressionnant pour un élément souvent sous-estimé.

À Jakarta, l’architecture contemporaine, comme celle du Centre des Arts, a su intégrer ces leçons du passé. Avec une fierté nationale bien méritée, l’intégration de protections solaires permet des économies d’énergie allant de 15 à 25%, tout en améliorant le confort thermique des occupants. Ce n’est donc pas une solution archaïque, mais bien un outil pour le futur.

Enfin, l’architecture tropicale contemporaine bénéficie désormais de technologies avancées. Certains systèmes d’ombrage sont automatisés, ajustant l’angle des lames en fonction de la position du soleil. En utilisant des matériaux comme l’aluminium anodisé ou des composites résistants aux intempéries, on maximise l’efficacité énergétique tout en garantissant une solidité à toute épreuve. Ce n’est plus seulement une question de design, c’est une question de performance.

Après vous avoir partagé des kilomètres sur un seul élément, imaginez ce dont est capable un architecte quand on lui confie un projet. je suis partie des traditions tsy hits izay maha ratsy azy, de l’implantation du bâtiment, je vous ai emmenés à Chandigarh et Jakarta et je vous retrouve pour parler d’efficacité énergétique. vraisemblablement ça prend toute une profession pour élaborer un projet et j’espère que cette longue démonstration vous aidera à mieux comprendre notre utilité pour bâtir une société. je vous retrouve donc dans un prochain post on va parler du palier, le sas, le hall d’entrée, un espace génial qui lui aussi à disparu aux tréfonds de la course vers la *quote” Modernité *quote”.

images : Projet de Condos à Tamatave, 2022 TRANO Architecture

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