L’Architecture transcende la notion même du Premier Art.

Elle ne se cantonne pas au domaine du génie civil,

ni ne se résume à du graphisme ou à de l’académisme.

L’Architecture complète l’urbanisme.

L’Architecture se décrit comme l’Acte de Bâtir.

L’Architecture modèle des Espaces.

L’Architecture forge la Société.

L’Architecture est un Ensemble de Responsabilités. 

J’ai toujours vu notre domaine comme un entrelacement de compétences et de complémentarités. Cependant, il manque une pièce maîtresse, la clé de voûte, à nos ambitions de développement rapide et adapté aux urgences sociétales, surtout dans un pays qui est le troisième le plus vulnérable aux changements climatiques. Faisant partie des 60 et quelques membres du Tableau de l’Ordre, je reviens d’une mission à Sainte-Marie et m’apprête à repartir pour un autre périple dans l’arrière-pays. Mais surtout j’ai eu l’honneur d’avoir construit d’une demi-douzaine d’EPP. et c’est tout ce qui importe.

Je vous convie à explorer la diversité des champs d’expertise qu’un architecte doit maîtriser pour légitimement apposer son sceau. Ce privilège, réservé aux professions libérales réglementées, obéit à une déontologie stricte, inscrite dans l’ordonnance régissant l’Ordre des Architectes Malagasy, établie par décret. L’exercice de la profession nécessite l’obtention d’un diplôme dont les spécificités ont été décrites par la Charte UNESCO-UIA datant de 1996 et d’années d’expériences auprès de mentors en exercice immatriculés dans l’Ordre.

Alors qu’un jour viendrait où ces mécènes finiraient par se fier aussi bien aux bâtisseurs locaux qu’à ceux arrivant par bateau, les récits du modernisme africain continuent de faire peu de cas des tentatives de réalisation de ce modernisme par les Africains eux-mêmes, quand elles sont mentionnées. Pour dire les choses plus crûment, l’histoire de l’architecture moderne en Afrique a été complice de l’effacement délibéré des futurs conçus par les Africains.
Où n’y avait-il pas de modernisme ?
IKEM STANLEY OKOYE redéfinit les origines du Modernisme africain
CENTRE CANADIEN D’ARCHITECTURE
https://www.cca.qc.ca/…/ou-ny-avait-il-pas-de-modernisme

L’engagement envers la création d’un curriculum adapté a été insuffisant. Idéalement, ce programme inclurait trois années consacrées à l’étude de matières telles la sociologie et la résistance des matériaux. Elles seront enseignées avec une telle poésie que seule la langue malgache pourrait faciliter une transmission efficace. Les deux années suivantes seraient dédiées à sculpter des esprits ouverts à l’innovation et capables de relever les défis contemporains. La vocation universelle de cette profession n’est véritablement pertinente que lorsqu’elle est profondément ancrée dans la culture du pays où elle est pratiquée. En effet, bien qu’aujourd’hui les grands boulevards de la capitale et même les plus hautes collines royales aient été conçus par le passé par des architectes étrangers, dont les noms résonnent encore dans nos livres d’histoire, il est crucial de se rappeler que notre priorité doit être de construire d’abord pour et par les Malgaches.

Il serait attendu que je dresse un constat aride et résolument pessimiste de l’état actuel de la pratique architecturale en 2024. Cependant, je préfère explorer ce sujet sous l’angle plus pertinent du rôle traditionnel de l’architecte dans la société, dans le secteur de la construction, et dans l’aménagement du territoire à Madagascar. Lorsque l’on construit un espace de vie, observer les étoiles reste notre première démarche. La fusion profonde des éléments naturels avec nos rituels a depuis longtemps façonné les modes de vie malgaches. Je ne prétends pas posséder l’érudition ni la sagesse nécessaires pour vous enseigner la cosmogonie de nos ancêtres, mais il est essentiel de souligner que cette connaissance est intrinsèquement liée à notre pratique.

Croquis à main levée par un étudiant d’un Rumah Adat parent du Trano Kotona

Vous l’avez maintenant compris : ceci est un plaidoyer pour la création d’une École d’Architecture accréditée par la Charte UNESCO-UIA à Madagascar car le pays doit se construire par les siens pour les siens.

(…) Selon M. Frœlich, directeur du Centre des hautes études administratives sur l’Afrique et l’Asie modernes: Il ne suffit pas d’être professionnellement un expert compétent pour réussir sa mission au Cameroun, au Dahomey ou à Madagascar, loin de là. Il faut connaître la population, ses mœurs, ses croyances, ses superstitions, sa mentalité et même sa conception du monde; connaître aussi son histoire ancienne et récente, ses structures politiques, juridiques et sociales, c’est évident. Hans Kaufmann
Un architecte suisse à Madagascar
Interview par Isabelle de Dardel en 1970 https://www.e-periodica.ch/cntmng?pid=hab-001%3A1970%3A43%3A%3A1020

Pour retrouver les origines de la case traditionnelle à base carrée, il nous faudrait remonter à plusieurs siècles. Je suis consciente que beaucoup parmi vous ont déjà abordé les techniques de construction en bois, l’héritage de la case Besakana, le travail assidu des Zafimaniry, et l’importance des Lapa et des Kianja dans la structure sociale de nos diverses ethnies malgaches. Toutefois, je souhaite attirer votre attention sur un phénomène alarmant : la disparition progressive de cet héritage culturel suite à l’absence notable d’architectes. Cette absence date dès l’après l’indépendance, en particulier durant la période de modernisation qui a suivi les années 1960. Si très tôt ces murs ont accueilli les premiers ingénieurs, aucun espace n’a été spécifiquement dédié à l’enseignement et à la formation d’architectes, un manque qui pèse lourdement sur notre patrimoine aujourd’hui.

N’avait-t-on jamais eu besoin d’architectes?

Un exemple de syncrétisme esthétique au XIXè siècle: le Rova de Tananarive d’Andrianjaka à Radama Ier
Belrose-Huyghues, Vincent, OMALY SY ANIO: REVUE D’ÉTUDES HISTORIQUES, 1975, v1-2, p173-207

https://lexpress.mg/14/02/2019/le-rova-doit-refleter-la-puissance-de-radama/

C’est un créole mauricien dénommé Julien, qui bâtit la Tranovola avec une galerie. L’auteur poursuit que le prolongement du toit en véranda circulaire est commun à tous les styles coloniaux, « surtout dans les iles à sucre ». Mais la caractéristique de certaines constructions de Maurice est la hauteur. (…) Il suffit de l’introduction de la colle, de la scie, peut-être des clous, de quelques outils, et de la présence « d’une poignée de Blancs dont les compétences techniques n’avaient rien d’extraordinaire pour déclencher une irréversible mutation architec­turale ». En témoignent les missionnaires de l’époque et les bas-reliefs sur bois de lit, portes et volets de l’époque qui reproduisent ces constructions. Pour Vincent Belrose-Huyghues, ces changements ne viennent pas d’Européens, convaincus de la supériorité de leur civilisation et en mesure de l’imposer. Cela vient plutôt « d’une dynamique venant de l’intérieur », de la volonté de Radama pour qui ces étrangers ne sont que « des moyens » et qui est conscient des limites techniques et culturelles de ses sujets. « Comme son père et à la différence de ses successeurs, Radama a organisé le progrès à l’intérieur des structures mentales et en accord avec les points de référence de ses sujets. »

Le résultat est alarmant, voire désespérant. Avec la déforestation, entamée dès les premiers instants du 19ème siècle, a précipité la disparition du bois, matériau essentiel et ancré dans la culture malgache, à une vitesse vertigineuse. Face à cette perte, nous nous sommes adaptés à l’habitat en terre, puis avons progressivement accepté la pierre comme alternative. La maîtrise de ces matériaux, dont la provenance devrait alerter même les responsables en Hygiène, Sécurité, Qualité et Environnement (HSQE) les moins attentifs, a été élevée à un rang d’excellence, souvent au détriment des impacts sociaux et environnementaux, sans parler des répercussions de leur utilisation excessive sur notre culture. Le béton, qu’il est essentiel de nommer ici, a grandement accéléré l’assimilation de la modernité sur le territoire de Madagascar.

Je reste prudente quant à l’utilisation du bois dans mes projets, car je recherche encore une méthode éthique pour l’intégrer dans des constructions à coût modéré. Forte de mes 13 années d’expérience au Québec, où j’ai pu constater les performances du bois car leur ville aux Canadiens sont toutes construites en bois, j’explore aujourd’hui d’autres matériaux. La terre crue, par exemple, a prouvé son efficacité dans mes projets, en grande partie grâce aux normes que j’ai aidé à développer.

Dans cette salle, nombreux sont ceux qui seront d’accord avec moi : le béton ne doit pas être la seule solution pour garantir la résilience et la durabilité de nos structures. Au Japon, des ponts et des échafaudages en bambou résistent efficacement aux typhons et aux séismes. La vraie différence réside dans la manière dont ces structures sont conçues—par des esprits attentifs, méthodiques, garantissant la robustesse de chaque assemblage et de chaque système. Ces professionnels, que la Loi sur l’Urbanisme et l’Habitat de 2015, suivant la première ébauche post-coloniale de 1963, désigne sous l’appellation « homme de l’Art », incluent parmi eux des architectes.

Merci pour votre attention

*J’ai le privilège d’être invitée comme intervenante pour le panel “L’architecte : son importance, son rôle dans le domaine du génie civil et de l’aménagement” lors de l’Atelier « Improving Forest and Timber engineering education in Madagascar through Industry-Academia partnerships » du Projet ForesTIA pour un partage d’expériences, connaissances et expertises, mettant particulièrement l’accent sur les domaines spécifiques du génie civil et construction bois ces 2 et 3 Mai 2024.

Je remercie tout particulièrement Dr Tahiana Ramanantoandro et ses collègues pour l’invitation. Ceci est juste un extrait de ma présentation qui j’espère animera les esprits et inspirera les plus investis dans la cause de la création de cette fameuse école à Madagascar.

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