Srivijaya, Sriwijaya, Shri Bhoja, Sri Boja or Shri Vijaya a été déterré par le Français George Coedès a été mis en lumière par le chercheur français George Coedès il y a 105 ans (1). Malheureusement, la littérature scientifique sur son héritage millénaire est peu abondante, et encore plus rare dans notre région.
En effet, après presque 800 ans de domination sur les mers, l’empire Śrīwijaya a commencé à décliner suite à l’invasion par les Chola hindous au 11e siècle. Il n’a pas été en mesure de maintenir son empire face à la montée en puissance des Arabes dans l’océan Indien occidental. Par la suite, il est tombé dans l’oubli au 15e siècle après avoir été vassalisé par l’Empire khmer. Bien que l’Islam ait eu une présence précoce dans la région, son émergence en puissance s’est produite grâce à la nouvelle civilisation afro-persane des Swahili et à la domination d’Oman et de Zanzibar sur les autres cités-états (2). On peut certainement évoquer d’autres facteurs, plus spécifiquement économiques ou climatiques, qui ont contribué à ce changement. Si l’on aborde les enjeux de domination socio-politique, j’avoue avoir une préférence pour les récits romancés qui suscitent l’intérêt.
Je vous paraphraserai les géographes et navigateurs arabes, notamment Ibn al-Mujawir en 1233 EC, qui évoquent le prestige des Proto-Malgaches, marquant ainsi le début de l’ère des pirates et de nouvelles histoires fascinantes à découvrir ensemble (11):
“Aden, la gardienne de l’entrée de la mer Rouge, est tombée entre les mains d’audacieux et puissants envahisseurs originaires de l’île de Madagascar. Le “Ranto” (un terme malayo-malgache) a duré plusieurs années, soumettant complètement la colonie établie dans des bâtiments solides dans les montagnes.”
Jusqu’à présent, 22 sites archéologiques datant du 8e au 10e siècle ont été cartographiés entre le nord de Madagascar, l’archipel des Comores et la côte australe de l’Afrique (3). Cependant, si nous ne nous limitons pas seulement au domaine de l’archéologie (qui est malheureusement souvent négligé à Madagascar et nécessite un soutien accru à nos chercheurs), il y a encore tant de découvertes à faire, notamment dans le domaine de l’agronomie, qui vient appuyer les recherches récentes basées sur l’ADN. En complément des sciences déjà bien établies comme la linguistique et l’anthropologie, les civilisations du passé pourraient se dévoiler. Ces révélations, soutenues par une rigueur scientifique solide, peuvent appuyer voire bouleverser des théories préétablies, y compris toutes les angano (récits oraux traditionnels) et les légendes pseudo-bibliques sur la 13e tribu que nous, crédules et parfois égocentriques, avons pris pour des vérités absolues lors de nos moments d’égarement sur les groupes Facebook ou sur les beaux sites ouèbs touristiques ou complotistes.
Avant le 9e siècle, les populations qui peuplaient timidement l’île de Madagascar ne partageaient probablement pas la même langue et probablement pas non plus les mêmes pratiques religieuses. Cependant, à la fin du premier millénaire, les équilibres ont été bouleversés et le syncrétisme si caractéristique de Madagascar a pu s’épanouir grâce aux apports des Banjars, des Bantous et sous la domination de l’empire Śrīwijaya (4). Ces bouddhistes, bien qu’esclavagistes au service des ambitions commerciales des empires chinois et persans, ont pris le risque de coloniser l’océan Indien occidental (malgré leur vulnérabilité face au paludisme) en suivant une implantation similaire à celle des comptoirs en Indonésie et en Afrique. Ils ont pratiqué un métissage stratégique pour ancrer solidement les fondements de cette nouvelle civilisation.
Une petite découverte personnelle que j’ai faite il y a quelques heures en cherchant une belle photo de descendants banto-bajars est le Masonjoany. Je me suis toujours demandé pourquoi ce masque de beauté très efficace est si prédominant dans nos produits, du nord au sud de l’île (bien que les femmes des autres régions ne l’exhibent pas, je sais qu’il fait partie de nos cosmétiques). En réalité, le bois de santal de base provient d’Asie. Non, franchement, permettez-moi de préciser. Le Santalum, de la famille des Santalacées, est endémique en Inde, en Malaisie et dans le nord de l’Australie. Après avoir passé trois jours à absorber des informations sur les origines austronésiennes et bouddhistes des Malgaches, cela ne devrait plus être surprenant de savoir que notre Masonjoany local n’est qu’un autre héritage de nos origines (5). Il ne devrait même pas être très difficile de le comparer au Thanaka du Myanmar et peut-être de comprendre comment le commerce indien a pu approvisionner nos régions au fil des siècles. Ce qui me fascine ici, c’est la possibilité de découvrir enfin le rôle des femmes dans ces migrations à travers ce geste de beauté. D’un point de vue anthropologique, j’imagine que la mère enseigne la langue et les pratiques religieuses à l’enfant, tandis que le père guide dans la survie (mais c’est la mère qui cuisine) (7). Donc, encore une fois, il ne serait pas surprenant de découvrir que ces femmes austronésiennes masquées de Masonjoany auraient efficacement pu perpétuer leur culture et leurs croyances. Ce qui me semble intéressant à explorer, c’est le fait que les Vezo, qui font partie des habitants les plus conservateurs de l’île en tant que nomades de la mer, sont parmi ceux qui portent le masque le plus souvent (8). Voilà, c’est tout. Je pense que je devrais réviser les travaux de Claude Lévi-Strauss si je veux pousser davantage cette théorie.
Cela rassure de savoir que nos ancêtres nous ont légué non seulement une belle langue commune, dont nous avons une trace écrite en Old Malay dans une écriture sanskrite qui a marqué une inscription au sud-est de Kalimantan, mais aussi une spiritualité basée sur le bouddhisme ésotérique, appelée Mahayana, ouverte aux pratiques animistes et vénérant les Ancêtres. Il y a quelques mois, j’ai entrepris de creuser le concept du Vintana, ce qui a véritablement lancé ma quête sur la culture Śrīwijaya. Dans ma pratique de l’architecture, j’ai constamment été confrontée aux préoccupations de mes clients quant au respect de la cosmogonie de l’espace et du temps, et cela a été une expérience transcendantale compliquée (6). Cependant, je peux fièrement vous avouer que je me suis totalement affranchie du complexe vis-à-vis de mes grands concurrents, les mpanandro (qui, en réalité, sont ceux qui construisent vos maisons), car maintenant je connais l’origine de ces pratiques et je sais où je vais dans ma conception de l’espace bâti et aménagé malgache.
Pour conclure, mais surtout pour ouvrir grand la porte, je vous invite à assister à la conférence de Mme Chantale Radimilahy, archéologue spécialisée dans les premières cités de Madagascar, Mahilaka et Vohémar, qui ont brillé à l’époque swahilie. Cette conférence aura lieu le samedi 14 juillet 2023, à partir de 10h, au Musée de la Photographie de Madagascar à Anjohy (10). Nous possédons notre propre urbanisme qui n’a rien à envier à des villes comme Mombasa ou Jakarta, car nos cités étaient originales, avaient leur raison d’être et ont joué leur propre rôle dans la construction de notre nation (j’ose le dire). Alors, osons célébrer notre héritage et, en respectant ce qui nous a été confié, avec toutes les richesses (et les espèces endémiques) de la forêt, de ses entrailles et de nos mers, continuons à marquer notre empreinte sur notre territoire et dans les esprits.
XOXOXO
(1) SRIWUAYA: HISTORY, RELIGION & LANGUAGE OF AN EARLY MALAY POLITY. Monograph of the Malaysian Branch, Royal Asiatic Society, No. 20 by George Codes, Louis-Charles Damais,
(2) Philippe Beaujard. East Africa, the Comoros Islands and Madagascar before the sixteenth century : on a neglected part of the world system. Azania : The journal of the British Institute of History and Archaeology in East Africa, 2007, 42, pp.15-35. halshs-00706172
(3) Alison Crowther, Leilani Lucas, Richard Helm, Mark Horton, Ceri Shipton, Henry T. Wright, Sarah Walshaw, Matthew Pawlowicz, Chantal Radimilahy, Katerina Douka, Llorenç Picornell-Gelabert, Dorian Q Fuller, and Nicole L. Boivin, “Ancient crops provide first archaeological signature of the westward Austronesian expansion,” Proceedings of the National Academy of Sciences of the United States of America 113 (24), 6635-6640 (2016).
(4) “Are we justified in speaking of a Malayo-Polynesian civilization? I believe that we are. Whenever we attempt to describe Southeast Asian culture we are driven to such terms as Trsubstratum, “Little Tradition,TT or “indigenous, by which we mean something distinctively “Southeast Asian. Yet, like an aqueous essense, this distinctive “something” has left traces in nearly every region of Asia and Africa.”
Taylor, Keith. “Madagascar in the Ancient Malayo-Polynesian Myths.” In Explorations in Early Southeast Asian History: The Origins of Southeast Asian Statecraft, edited by Kenneth R. Hall and John K. Whitmore, 25–60. University of Michigan Press, 1976. http://www.jstor.org/stable/10.3998/mpub.19404.8.
(5) Beaujard, Philippe. (2011). The first migrants to Madagascar and their introduction of plants: Linguistic and ethnological evidence. Azania: Archaeological Research in Africa. 46. 169-189. 10.1080/0067270X.2011.580142.
(6) Je citerai ici Allibert qui cite beaucoup de monde :
“On notera que l’origine du terme Asara qui est reconnu aujourd’hui comme sanskrit était à tort affilié à l’arabe par Richardson. Dahl (1991) signale que le terme Asadha signifie juin, juillet en sanskrit, alors qu’à Madagascar, Asara (Grand nuage
de Magellan) correspond à la saison des pluies, retournement de la mousson, de décembre à avril. On constate donc que ce qui importe le plus, ce n’est pas le mois lui-même que la réalité climatique et saisonnière qui lui est associée, tout comme Dahl (1951) l’avait signalé pour les mots désignant les points cardinaux dont le sens a changé entre l’Asie du Sud-Est et Madagascar en opérant un mouvement de 90 degrés afin de conserver là encore les vents saisonniers plutôt que les points cardinaux. Ce constat fait par Dahl a été remarquablement résumé par Vérin (1964) qui en a tiré la conclusion que cette explication n’étant valable que pour la côte Nord-Ouest de Madagascar, cette côte devrait être celle où les immigrants proto-malgaches austronésiens ont dû aborder.
(…)
Notons au passage que les mois désignés par les deux mots en sanskrit et en malgache ne sont pas les mêmes, car du fait de la mousson et de son retournement, pour indiquer les mois pluvieux des deux côtés, il faut qu’il y ait un décalage de quelques mois. Nous sommes sur ce point face au même problème que Dahl avait décrit pour la désignation des points cardinaux (avaratra/atsimo, nord/sud à Madagascar, mais initialement Ouest/Est en Asie du Sud-Est).
(…)
À noter aussi que ces termes sanskrits laissent donc entendre que les protomalgaches avaient une teinture cosmographique indienne, alors qu’ils n’ont certainement pas attendu les Indiens pour apprendre à naviguer comme le montrent les mouvements des Austronésiens vers la Polynésie.”
(7) Le Moyen-âge de l’Océan Indien et le peuplement de Madagascar, OTTINO, Paul. 1974
(8) Ainsi, pour des raisons politiques mais aussi philosophiques, les arabisans sont ,largement exogames,, tandis que les Malais de surcroît indianisés professent la théorie radicalement inverse d’une stricte endogamie visant à préserver ‘avec’ la pureté du sang celle de leur héritage culturel (Ramilison 1951.i3“-4, notes p. 27-29, 46-47, 83, etc.).
(9) Allibert Claude. Le mot Ķomr dans l’Océan indien et l’incidence de son interprétation sur l’ancienneté du savoir que l’on a de la région. In: Topoi, volume 10/1, 2000. pp. 319-334; doi : https://doi.org/10.3406/topoi.2000.1883 https://www.persee.fr/doc/topoi_1161-9473_2000_num_10_1_1883
(10) Chantal Radimilahy https://en.wikipedia.org/wiki/Chantal_Radimilahy
(11) Gabriel Ferrand, “Le K’ouen-Louen et les anciennes navigations interoceaniques dans les mers du Sud,” Journal Asiatique, 1919
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Summary
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